En contrepoint de ces procédés de mises en scène relevant de la puissance de la fiction (construction dramatique, création d’une subjectivité, dramatisation, etc.), la cinéaste crée aussi une forme de neutralité documentaire, à la manière des films néo-réalistes italiens comme Sciuscià (1946) ou Le Voleur de Bicyclette de Vittorio De Sica. « Une influence majeure : le néo-réalisme italien et Le Voleur de bicyclette en particulier. J’adore son côté authentique, presque documentaire » déclare Haifaa al-Mansour. Ce courant apparu après la guerre (1945) est en quête d’une vérité documentaire. Contre le cinéma dit « d’évasion », il tend à créer un effet de réel en filmant « la vraie vie ».
Le Voleur de bicyclette (1948) de Vittorio De Sica est un film emblématique du néo-réalisme italien. Il raconte le trajet dans la ville d’Antonio Ricci et son enfant pour retrouver la bicyclette volée la veille alors qu’il posait des affiches.
Des espaces du royaume saoudien
Plusieurs éléments participent de cette esthétique. D’abord, les paysages et les lieux. On découvre des décors naturels : les rues et le centre de Ryad mais aussi des terrains vagues, un chantier, etc. Ces espaces sont dévoilés de plusieurs façons. Parfois, des mouvements de caméra (panoramiques ou travellings) explorent l’espace selon les déplacements de Wadjda. On découvre la vie quotidienne des boutiquiers quand elle se promène dans son quartier. Parfois des plans larges d’une certaine durée nous plongent dans les lieux. Sans portée narrative, ces plans nous invitent à observer ces espaces, à les découvrir.
Traverser l’espace… et la société
Comme dans l’esthétique néo-réaliste italienne, les déplacements des personnages dans l’espace dévoilent différentes classes sociales. Par exemple, si le quartier de Wadjda appartient plutôt à la classe moyenne, la virée de Wadjda et Abdallah à Al Dirah, nous emmènera vers le quartier plus populaire d’Iqbal. La sortie au centre commercial, où la mère se planque dans des toilettes pour essayer une belle robe rouge, sera un bon exemple de l’influence de la modernité. Les réalités du pays sont montrées selon les déplacements.
Des instants pris sur le vif
Ce qui fait le sel de ce film, ce sont aussi ces saynètes du quotidien, toutes simples, d’inspiration documentaire. Les traditions culturelles sont révélées dans des moments de vie assez communs : les coups de fil entre la mère de Wadjda et Leïla, les repas préparés en chantant, les révisions de Wadjda pour le concours coranique pendant que sa mère repasse. Ces scènes prises sur le vif racontent la vie depuis l’intérieur : « j’espère sincèrement que le film offre une vision intérieure unique de mon pays » déclare la cinéaste qui cultive cet art de l’instantanée.
Ces choix de mises en scène font presque penser aux vues réalistes des frères Lumières, comme « le repas de bébé », l’arrivée d’un train en gare de Ciota, où un plan de moins d’une minute fixe des instants de vie. La sortie de l’école de Wadjda pourrait, dans un traitement bien différent, être un clin d’œil à la "Sortie de l'usine Lumière à Lyon" (1895).