WADJDA, JEAN ET BASKETS SOUS LE VOILE
L’analyse filmique : objectifs et méthode
L’analyse filmique est un exercice qui peut être pratiqué en classe de façon collaborative. Il vise à approfondir la compréhension de la séquence d’un film en décrivant et en analysant simplement ce que l’on voit / entend à l’écran, puis en proposant des pistes d’interprétation. Pour commencer, on peut mettre en commun à l’oral les émotions ressenties par les élèves pour ensuite identifier les procédés visuels et sonores qui ont pu en favoriser l’émergence. Pour plus de détails, on peut se reporter à ce dossier : https://normandieimages.fr/approchedunfilm/
Situation et enjeux de la séquence
Wadjda ou sortir du rang
Car se déplacer, symboliquement, sortir du cadre, est interdit. Le pas de côté — littéralement — est repris. Dans un plan moyen dévoilant les lieux de l’action, une école coranique, une institutrice ordonne aux fillettes de reprendre leur place. Elles s’exécutent, s’alignent en face de l’institutrice et… devant un public imaginaire. Des chaises vertes sont en effet disposées à l’arrière-plan. Elles rappellent une salle de spectacle, comme si, placées sur une estrade, les filles étaient tenues de « jouer » aux élèves modèles, d’incarner des bonnes musulmanes croyantes. Le film dénonce alors l’hypocrisie de cette mise en scène / scénographie du discours religieux. La madrasa est un lieu où l’enseignement religieux ne se transmet pas vraiment : il s’exerce sur des personnes peut-être trop jeunes pour le comprendre.
Dans un mouvement théâtral, — comme si on ouvrait un rideau — les petits pieds s’écartent pour laisser place à la vedette qui s’avance maladroitement : Wadjda ou plutôt une superbe paire de chaussures Converse aux lacets violets. Ses baskets la caractérisent (on les retrouve sur l’affiche) : elles sont l’emblème de l’originalité de la jeune fille, témoignent des influences extérieures au royaume, de son ouverture d’esprit.
Et Wadjda est mise à l’épreuve par l’institutrice, devant le groupe. Celle-ci lui demande de chanter des sourates du Coran. Wadjda sèche. On lit l’embarras sur son visage dans un plan rapproché. Le groupe ricane. Le face à face entre Wadjda et l’institutrice est alors riche de sens. La composition du plan laisse au centre un grand vide entre les deux personnages. Symboliquement, cela peut retranscrire la distance avec laquelle Wadjda ressent cet enseignement religieux : elle n’y adhère pas.
Différente des autres écolières, le plan suivant renforce cette impression. Dans un plan moyen en contre-plongée, Wadjda est face à nous tandis que toutes les autres filles sont filmées de trois-quart. Wadjda est bien en marge, à l’écart du groupe, hors-norme. Refusant de chanter les sourates — donc de faire preuve d’hypocrisie —, elle se dérobe, baisse les yeux. L’institutrice la « punit » alors au soleil. Wadjda se retrouve dehors, un peu à la manière de l’enfant de ce court-métrage d’Abbas Kiarostami. La différence n’a pas lieu d’être ici.
La chorale reprend ensuite de plus belle. On entend les fillettes chanter à l’unisson ce même couplet, plus fort qu’au début.
La madrasa, une prison à ciel ouvert
Wadjda lève les yeux. C’est un plan subjectif (on découvre ce que Wadjda voit si l’on était à sa place).
Le plan suivant revient sur le visage de la fillette se tenant la tête pour se protéger. Mais un léger vent soulève ses cheveux — symboliquement, peut-être, un vent de rébellion. Le titre s’affiche.
Wadjda, entre trafic de bracelets et désir d’indépendance
On entend une musique pop-rock anglophone : « Tongue tied » de Grouplove, chanson d’amour entraînante. Un gros plan dévoile un cintre écartelé, (peut-être à l’image de Wadjda tiraillée), sur lequel un bracelet rouge et un papier violet sont accrochés, en dessous d’une inscription énigmatique sur le mur : « danger ». Ce message de prime abord incompréhensible trouve ensuite une explication après un panoramique. Le fil de métal conduit en effet à un poste de radio, révélant un potentiel vrai danger électrique. Mais le message a aussi une valeur symbolique. Rappelons-nous la scène où Mme Hessa confisque les cassettes de Wadjda : les chansons d’amour sont jugées subversives. Elles pourraient corrompre. Le geste de Wadjda — augmenter le volume — est dès lors un pied de nez aux carcans.
Le mouvement du panoramique suit ensuite son cours pour révéler le décor, s’arrête sur le bureau encombré de la jeune fille. Dans cet espace où elle est libre et tranquille, sans surveillance, Wadja danse, se laisse aller au rythme de la musique. Le mouvement de caméra accompagne son effervescence.
Mais gagner sa liberté est illégal. C’est ce que suggère l’analogie avec la figure de la trafiquante. Wadjda range des bracelets aux couleurs vives dans des sachets en plastique. L’image fait sourire : la fille au caractère bien trempé semble assimilée à une dealeuse.
Les trois plans suivants renforcent cette impression. Gros plan sur les sachets de bracelets, puis sur les Converses pour finir sur Wadjda qui noue ses lacets comme pour tordre le cou aux clichés, le casque de musique flanqué autour du cou. Les couleurs vives (le rouge du fil, le bleu du casque, le violet des baskets, le jaune du décor) contrastent avec sa tenue grise et expriment sa révolte. Décidément, Wadjda a bien l’intention de faire la peau aux idées reçues.
Mais un bruit strident et désagréable fait incursion dans cette évadée musicale. C’est le bruit d’une brosse soufflante, dont sa mère se sert pour avoir les cheveux « lisses et soyeux » — un accessoire qui agit comme une injonction à destination de Wadjda, et qui passe par le personnage de la mère dont la première apparition est soignée.
Traverser peut-être les frontières que sa mère s’est imposées. Car on retrouve ce personnage se coiffant devant un cadre face à une photo de son mari. La légère contre-plongée (la caméra est placée en-dessous du sujet) peut être révélatrice d’une posture de soumission vis-à-vis des hommes. Elle dévoile aussi des éléments de l’intrigue :