UNE FABLE INITIATIQUE UNIVERSELLE
Passer de 4 roues à 2 roues
Baskets converse et jean sous le voile, cassettes de chansons d’amour et bracelets de foot planqués dans le sac, regard parfois arrogant, répartie souvent malicieuse, Wadjda fascine. Elle n’a peur de rien. Audacieuse, elle est prête à tout pour bousculer les carcans de cette société étouffante pour les femmes. Tirant sa force de cette quête immense de liberté, elle ne recule devant rien. Ni les interdits familiaux. Ni les interdits sociétaux. Rien ne l’empêchera de s’acheter ce beau vélo vert.
La force du film est de raconter cette histoire en peignant à la fois ce caractère effronté d’une puissance incroyable mais aussi ce moment de passage, typique des récits d’apprentissage. Car Wadjda est entre deux âges : ni tout à fait une enfant ni encore une adolescente. Si elle se balade tête nue ou joue à la marelle dans la cour de récréation, elle doit désormais porter une abaya à la madrasa, vêtement ample et long réservé aux femmes nubiles, qui cache les formes. Et de toute façon, l’adolescente sommeille en elle : vernis à ongles sur les pieds comme Fatin et Fatima, chansons d’amour à fond dans la chambre, rébellion contre sa mère ou contre la directrice de l’école. Clairement, elle n’a plus envie d’être vue comme une enfant. Elle le crie avec rage à Abdallah qui lui propose, sur le toit-terrasse, un vélo à roulettes : « Tu me prends pour une gamine ? ». Bref, elle grandit. Mais quels horizons s’offrent à elle ?
La force du film est de raconter cette histoire en peignant à la fois ce caractère effronté d’une puissance incroyable mais aussi ce moment de passage, typique des récits d’apprentissage. Car Wadjda est entre deux âges : ni tout à fait une enfant ni encore une adolescente. Si elle se balade tête nue ou joue à la marelle dans la cour de récréation, elle doit désormais porter une abaya à la madrasa, vêtement ample et long réservé aux femmes nubiles, qui cache les formes. Et de toute façon, l’adolescente sommeille en elle : vernis à ongles sur les pieds comme Fatin et Fatima, chansons d’amour à fond dans la chambre, rébellion contre sa mère ou contre la directrice de l’école. Clairement, elle n’a plus envie d’être vue comme une enfant. Elle le crie avec rage à Abdallah qui lui propose, sur le toit-terrasse, un vélo à roulettes : « Tu me prends pour une gamine ? ». Bref, elle grandit. Mais quels horizons s’offrent à elle ?
Wadjda adopte les mêmes codes que Fatin et Fatima : elle se met aussi du vernis à ongles, signe du passage vers l’adolescence.
Ce moment de transition est mis en lumière par le motif de la porte. Wadjda passe un seuil. Fermant la porte de l’enfance, elle ouvre celle qui mène vers l’adolescence.
Un environnement répressif
Comme dans les récits initiatiques, Wadjda découvre les réalités complexes du monde qui l’entoure par l’expérience. Mais tous les endroits qu’elle traverse sont marqués par des interdits. À la maison, sa mère lui demande de ne pas chanter trop fort en présence d’hommes, au risque d’être entendue, ou de vite débarrasser le repas pour que son père ne "fasse pas de scène". Elle lui demande de ne pas écouter de chansons d’amour qui “causent des problèmes”. C’est le même refrain à l'école. Mme Hessa lui ordonne de rentrer dans la classe pour "se cacher" (littéralement) du regard des hommes. L’enseignante l’exclut car Wadjda ne veut pas chanter les sourates du Coran. Bref, ce monde plein de règles sera l’obstacle principal dans sa quête : le vélo qui est l’objet de son désir…et un interdit. Un interdit parmi tant d’autres qui l’attendent dans cette société conservatrice : on apprend que les femmes ne peuvent pas conduire, doivent porter le voile, ne peuvent travailler avec des hommes, etc.
Cette confrontation à un environnement restrictif dans lequel tout semble limite se traduit par de nombreux " cadres dans le cadre " ou "surcadrages". Ce procédé désigne l’utilisation dans le champ d’un élément du décor pour créer un cadre (plus petit) à l’intérieur du cadre. Cela souligne l’enfermement des personnages, prisonniers d’un espace. Toutes les perspectives semblent bouchées.
Cette confrontation à un environnement restrictif dans lequel tout semble limite se traduit par de nombreux " cadres dans le cadre " ou "surcadrages". Ce procédé désigne l’utilisation dans le champ d’un élément du décor pour créer un cadre (plus petit) à l’intérieur du cadre. Cela souligne l’enfermement des personnages, prisonniers d’un espace. Toutes les perspectives semblent bouchées.
Chez elle, les lignes droites et perpendiculaires des murs de la maison forment un cadre dévoilant un jardin dont on ne voit qu’une petite parcelle.
À l’école, les murs des immeubles ne permettent pas de voir l’horizon. Seuls les ouvriers à l’arrière-plan ont une vue dégagée.
Entre quatre murs, Wadjda n’a pas d’espace pour bouger.
Ces surcadrages sont parfois associés à des raccords de regard. Ce procédé de montage relie les plans ainsi : on voit d’abord un personnage regarder quelque chose, puis le plan suivant dévoile l’objet de son regard, comme c’est le cas ici. Wadjda se tourne vers sa mère. Le plan suivant raccorde sur ce qu’elle voit.
On peut constater que la vue de Wadjda est obstruée par des obstacles (ici les pans de murs jaunes). Mais être libre, c’est aussi pouvoir regarder librement autour de soi. Or ce n’est pas le cas ici. Le raccord regard nous permet de mieux comprendre ce que vit le personnage en adoptant son point de vue. Le procédé exprime une liberté empêchée, une vision limitée, sans perspective.
Les cadrages resserrés transmettent la même sensation d’enfermement. Les personnages n’ont pas d’espace pour se construire ni pour bouger. Cette échelle de plan souligne la violence de cette société pour les femmes.
Wadjda, personnage-spectateur
C’est par l’expérience mais aussi par l’observation du monde que le regard de Wadjda évolue. La cinéaste représente souvent la petite fille comme spectatrice (parfois impuissante) de l’action. Des destins de femmes se dessinent autour d’elle : celui d’Abeer, de sa mère, de Fatin et Fatima, de Salma.
Wadjda écoute la conversation téléphonique de sa mère avec Leïla, à propos d’Abeer et son amant, surpris par la police des mœurs.
Wadjda écoute ses parents se disputer au sujet du remariage de son père.
Dans la cour de récréation, elle observe Mme Hessa réprimander Fatin et Fatima, accusées de commettre un péché.
Cette position de spectatrice permet d’articuler finement ces micro-récits à l’histoire « principale » (la quête de Wadjda pour obtenir son vélo). Loin d’être des intrigues secondaires, elles sont toujours racontées par le prisme du regard de la fillette dont on montre les réactions. Des plans rapprochés mettent en lumière ses prises de conscience, ses émotions, ses inquiétudes, ses tiraillements. Ils révèlent son cheminement intérieur et nous permettent de la comprendre. Cette figure du personnage-spectateur filé tout au long du film reflète notre propre position et renforce la violence de cette société. Le point de vue d’une enfant en accentue la violence répressive.
Le désir : un interdit
Ces micro-récits ont en commun de parler du désir et de son interdiction. Cette tension crée chez Wadjda, au moment du passage vers l’adolescence, une sensation de perspectives bouchées. En effet, elle connaît peut-être un éveil amoureux. Elle aime les chansons d’amour qu’elle écoute à fond dans sa chambre ou qu’elle chante avec sa mère en préparant le repas. Elle a une relation forte avec Abdallah : ils se retrouvent un jour sur le toit-terrasse, les jambes se balançant dans le vide, gênés peut-être par ce qu’ils ressentent. Mais si la cinéaste parle du désir, de l’amour ou de la séduction, elle en rappelle aussitôt les limites. Ici on ne peut vivre cela simplement. Abeer a pu rencontrer son amant, mais ils ont été surpris par la police des mœurs. Ses parents s’aiment encore, mais son père doit se remarier car le couple n’arrive pas à avoir de garçon (la responsabilité est tout de suite mise sur la mère). Sa mère revêt une belle robe rouge dans les toilettes du centre commercial. Mais à peine essayée, elle se recouvre de son abaya noire.
Le motif de la grille à l’arrière-plan dans le décor exprime souvent cet interdit du désir. Évoquant l’espace carcéral, les barreaux envahissent tous les lieux, comme si aucun domaine de la vie ne pouvait échapper aux règles de cette société conservatrice.
Le motif de la grille à l’arrière-plan dans le décor exprime souvent cet interdit du désir. Évoquant l’espace carcéral, les barreaux envahissent tous les lieux, comme si aucun domaine de la vie ne pouvait échapper aux règles de cette société conservatrice.
Dans la cour de récréation, elle observe Mme Hessa réprimander Fatin et Fatima, accusées de commettre un péché.
Le surcadrage et les barreaux à l’arrière-plan révèlent un personnage empêché par le poids des traditions et des interdits, qui ne peut vivre un amour simplement.
Il y a aussi l’interdit d’être soi, de se révéler, de s’exprimer.
Wadjda fait donc la découverte dans un même temps d’un monde de désirs et d’envies mais aussi de leur interdiction, répression. Elle est confrontée à un impossible.
Mentir ?
Mais dans ce monde, les personnages rusent, mentent, dissimulent pour vivre leurs envies. Mme Hessa invente une histoire de "voleur" pour cacher sa rencontre avec son amant chez elle. Abeer demande à Wadjda de transmettre une lettre à son soi-disant « frère ». Wadjda n’est plus dupe de cette hypocrisie. Elle ne voit plus le monde de la même façon. Elle se moque de Mme Hessa en l’imitant crier "au voleur". Elle rétorque à l’amant d’Abeer qui attend à la sortie de l’école que “même ses billets sentent le parfum”. Le motif du rideau qui revient sans cesse dans le décor du film rappelle que c’est un monde de théâtre, de jeu, de masque. Wadjda l’a compris : tous contournent les interdits, même ceux qui imposent les règles.
Les rideaux sont présents derrière Mme Hessa qui joue le rôle de la femme exemplaire.
On aperçoit les rideaux à l’arrière-plan lors de la prière matinale.
Les camarades de classe de Wadjda font mine d’être des filles bien élevées et croyantes. Le sont-elles vraiment ?
On comprend le tiraillement du personnage. Pourra-t-elle faire semblant indéfiniment comme toutes les autres ? Si Wadjda porte le masque un temps pour gagner le concours de tartil, ce sera provisoire. A peine le concours gagné, elle avoue ses vraies motivations devant ses camarades hilares. Car la liberté dont elle rêve n’est pas seulement intérieure : c’est une liberté affichée, bien visible, tangible… comme faire du vélo dans la rue.