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UN JEU DE RÉFÉRENCES CINÉMATOGRAPHIQUES

« J’ai glissé dans le film quelques clins d’œil aux cinéphiles. C’est une conversation entre truands qui évoque Scorsese, un quatuor de gangsters à la mie de pain aux surnoms farfelus, tout droit venus de Reservoir Dogs, ou un plan hommage à La Nuit du chasseur » déclare Alain Gagnol.
Les jeux de références cinématographiques font aussi le sel du film pour qui sait les repérer. Le titre annonce la couleur : Une vie de chat est une référence à Une vie de chien (A Dog’s Life, 1918) de Charlie Chaplin. Bel hommage au cinéma muet et burlesque, mais aussi à un personnage type, le vagabond, le justicier au grand cœur, comme Robin des bois ou Arsène Lupin.
Charlie Chaplin et son animal de compagnie dans A Dog’s Life.
Tous les deux sont complices dans leurs larcins, et s’entraident !
Le chien vient d’exhumer un portefeuille plein d’argent, et le donne à Charlie Chaplin
Références au cinéma muet… et clins d’œil à des maîtres du film noir. Les Affranchis (1990) de Scorcese par exemple, incontournable film de gangsters, sous-genre du policier.
Affiche des Affranchis de Scorcese
La scène de course poursuite au zoo renvoie à une scène culte des Affranchis où Henry et Jimmy emmènent un type au zoo pour le donner au lion.
La voix de Jean Benguigui qui double le mafieux Victor Costa avait été choisi pour le doublage français du personnage joué par Joe Pesci dans Les Affranchis.
Victor Costa qui tient le rôle du « méchant » est inspiré de ce gangster teigneux inoubliable aux accès de fureur incontrôlables, qui sort son pistolet à tout bout de champ, comme c’est le cas dans cette scène.
Une citation directe du film apparaît lorsque Victor Costa est dans la voiture. On se souvient de la première apparition spectaculaire de Tommy DeVito dans Les Affranchis.
Ce personnage haut en couleurs, un poil nerveux, raconte une histoire désopilante à ses interlocuteurs hilares. Mais quand Henry le complimente sur son humour, Tommy fait mine de prendre la mouche.
« Comment ça je suis marrant ? Qu’est-ce que tu me trouves de marrant ? Marrant comment ? Marrant comme un clown ? Je t’amuse ? Marrant comment ?».
La scène de la première apparition de Victor Costa reprend ce dialogue. Lorsque l’un de ses complices lui apporte une quiche, Costa rétorque : « Pour résumer, tu trouves que j’ai une tête à bouffer des quiches ? Ah non te défiles pas ! J’ai la tête d’un type qui s’envoie de la quiche ? C’est ça que tu veux me dire, hein ? ». Pour finir, Costa finit par lui balancer la quiche dans la figure… ce qui rappelle le fameux gag burlesque de la tarte à la crème.
Photogramme de La Bataille du siècle (The Battle of the Century, 1927) de Clyde Bruckman avec Laurel et Hardy.
Les références au film noir n’apportent pas toujours de violence dans Une vie de chat, mais au contraire, de l’humour : « Nous avions quatre références majeures, explique Alain Gagnol. Toute notre bande de gangsters bêtes et méchants dirigée par l’affreux Costa doit beaucoup au cinéma des frères Cohen ! Mais, chez nous, les voleurs ne sont pas violents, ils apportent un peu de danger, des tensions et beaucoup d’humour.
Les dialogues entre Costa et ses acolytes patibulaires rappellent ceux des Tontons Flingueurs de Georges Lautner (1963). « La bande de crétins » de Costa fait penser à l’équipe de bras cassés des Tontons flingueurs : ils font des gaffes sans arrêt. Ces gangsters minables portent des surnoms ridicules : M. Bébé, M. Patate, M. Grenouille, M. Hulot. On pense immédiatement aux noms de code des truands de Reservoir Dogs de Tarantino (1992), comme M. Pink, M. White, M. Blue, M. Orange : « Pourquoi M. Pink ? Pourquoi on peut pas choisir sa couleur ? » La scène du film où les truands contestent leur surnom est une citation directe de Reservoir Dogs. « Tu m’as bien regardé, je suis pas une papate. Patate, c’est complètement débile. »
Le registre comique du film, filé à travers de nombreux gags, s’inscrit dans le sillage des comédies burlesques. A la fin du film, Costa finit par se balancer à une corde, à l’instar d’Harold Lloyd’s à la fin de Safety Last (1923). Le toit qui s’écroule lors de la course-poursuite fait penser à La Maison démontable (One Week, 1920) de Buster Keaton et Edward F. Cline.
Photogramme de La Maison démontable (One Week, 1920) de Buster Keaton et Edward F. Cline.
Une vie de chat rend également hommage à La Nuit du chasseur (1955) de Charles Laughton. Zoé échappe en effet à Victor Costa au moyen d’une barque, comme les deux enfants fuient leur ravisseur incarné par Robert Mitchum.
Les deux plans sont identiques : le même angle de prise de vue est utilisé, une plongée, c’est-à-dire que la caméra est placée au-dessus du sujet.
Dans ce chef-d’œuvre du film noir, un prêcheur poursuit deux enfants pour obtenir l’emplacement du magot d’or de leur père.
Mais que serait le genre policier sans Alfred Hitchcock, le maître du suspense ? Les allusions à la filmographie de ce réalisateur jalonnent le film. Comment ne pas rapprocher le dénouement d’Une vie de chat de celui de La Mort aux trousses (1959) ou des Trente neufs marches (1935) qui mettent en scène des courses-poursuite haletantes se déroulant au sommet de lieux vertigineux ? Les dénouements d’Hitchcock se passent souvent sur des monuments spectaculaires dont l’architecture joue un rôle clé puisque la hauteur crée du suspense, du vertige, du danger pour les personnages.
Photogramme des Trente-neuf marches (1935) avec Richard Hannaye (Robert Donat) et Pamela (Madeleine Carroll).
La Main au collet (1955) a également inspiré le personnage de Nico. Le voleur John Robie, incarné par Cary Grant, est surnommé « Le Chat ». Hitchcock multiplie dans les dialogues les expressions se rapportant au félin : « Le proverbe doit être vrai : les chats ont horreur de l’eau » (Frances à John), « Tu es nerveux comme un chat » (l’inspecteur à John). On trouve des échos à ce procédé dans le film : « J’m’appelle Nico, tu veux pas m’parler ? T‘as donné ta langue au chat ? » (Nico)

Ce jeu de références crée un agréable mélange des codes et des registres : films policier, film d’aventure, film d’apprentissage, film fantastique... C’est un jeu : le spectateur s’amuse en identifiant les allusions, en reconnaissant des personnages ou des scènes. “ Les coréalisateurs croisent ici les codes, du thriller du mélodrame, de la quête initiatique au film de monstres ». (Donald James dans Bref, le magazine du court métrage (novembre-décembre 2010, n°95)