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Là-bas la mer - À l’ombre des sentiments

Un atelier de réalisation au centre pénitentiaire de Saint-Aubin Routot

Septembre-novembre 2024


Le 16 septembre, les participants vont rencontrer la réalisatrice intervenante Marie Benoist à l’occasion d’une projection autour de son film "Dans les bras d’un matelot". Dans ce film, elle part à la rencontre des femmes de marins de la côte d’Opale à la Bretagne, en passant par la Normandie et plus précisément le Havre, sa cité océane d’accueil. Elle part à la rencontre de ces femmes dans une sorte de road-movie poétique avec en toile de fond les questions suivantes : que se cache t-il derrière l’expression "femme de marin" ? Que vivent celles qui partagent ou ont partagé leur vie avec un marin ? Comment aimer lorsque la mer nous sépare ?
Avec ce film, elle est partie d’une expérience singulière, la sienne, tout en essayant de toucher le plus grand nombre. On ne fait pas des films pour soi mais bien pour les partager, pour l’émotion, la réflexion, les échanges qu’ils peuvent susciter, tout ce que cela fait «bouger» en nous.
Suite au visionnage du film, les participants exprimeront leur ressenti, échangeront avec la réalisatrice.
En fonction des réactions et de l’intérêt des participants, deux pistes d’atelier sont possibles.
Première proposition : "Là- bas la mer"
Marie Benoist n’a pas grandi au bord de la mer mais la côtoie depuis 5 ans, depuis qu’elle s’est installée au Havre. Aujourd’hui, il lui serait difficile de s’en séparer. Elle a été et est toujours une grande source d’inspiration, support de rêveries, d’imaginaire, de créativité.
Le centre pénitentiaire de Saint Aubin Routot est situé à une quinzaine de  kilomètres de la mer, mais les détenus en sont coupés comme de la nature en général.
Quel lien entretiennent-ils avec la mer ? Quels souvenirs la mer et l’océan évoquent-ils pour eux ? Certains participants avaient-ils un lien privilégié avec la mer ? De par leur profession ? Leur lieu d’habitation ?
Dans l’imaginaire collectif la mer a une forte puissance d’évocation de la liberté… avec elle, l’horizon n’est plus bouché, l’espace est infini, elle invite à tous les possibles, tous les voyages.
Elle peut, même si c’est plus rare, aussi évoquer l’enfermement. Les hommes de tout temps ont aussi bâti des prisons sur des îles. Sainte Hélène, Alcatraz, Robben Island sont les plus connues. Plus récemment, pour certains marins pendant la pandémie, la mer était aussi une forme d’emprisonnement, car ils étaient coupés de leur famille pendant de longs mois, errant de port en port sans pouvoir débarquer.
Comment évoquer et faire revivre la mer quand on est dans un centre pénitentiaire ? Tout un imaginaire peut se déployer pour créer ensemble un petit film ou une POM (Petite Œuvre Multimedia) autour de ce sujet.

Deuxième proposition : "À l’ombre des sentiments"
Autre sujet abordé par le film "Dans les bras d’un matelot" : le manque, la solitude, le couple ou la vie de famille par intermittence, l’expression de sentiments quand on est coupé de l’être aimé ou ami.
Comment faire perdurer le lien amoureux, amical,  familial, parental quand on est loin de l’autre,  de ceux que l’on aime, que l’on soit marin, femme de marin, détenu, famille de détenu ?
Pendant tous les entretiens réalisés pour son film sur les compagnes de marins, la question des prisonniers et de leur famille est souvent revenue dans les discussions. Bien-sûr la comparaison n’est pas forcément juste. 
Néanmoins, que le manque soit lié à une profession spécifique qui éloigne ou à une incarcération, certaines similitudes peuvent se dessiner et autant de stratégies pour faire exister l’autre : photos, courrier, parloirs, courts appels téléphoniques…
Comment les détenus et leurs proches font-ils pour maintenir le lien malgré l’enfermement, la séparation forcée?
À partir du visionnage du film "Dans les bras d’un matelot", on peut imaginer de faire émerger ces discussions et prises de paroles même s’il s’agit de sujets qui touchent à l’intime. A partir des récits des uns et des autres on peut créer une POM (Petite Œuvre Multimédia) en utilisant un mélange de séquences filmées par les détenus mais aussi des petites animations en Stop Motion.

L’objectif de cet atelier est vraiment la réalisation d’un projet collectif en s’appuyant sur les désirs et les talents de chacun. Construire en images un objet audiovisuel ensemble qui pourra être diffusé et qui sera aussi gratifiant pour les participants.
Les orientations seront à affiner au moment de la rencontre avec les personnes intéressées par l’atelier et suite à la projection du film de la réalisatrice.
L’atelier durera 11 demi-journées et la valorisation aura lieu le vendredi 15 novembre à 14h.

Lancement du projet lundi 16 septembre 2024

Projection rencontre
Quatorze personnes détenues participent à la projection du film "Dans les bras d’un matelot" de Marie Benoist. Les échanges qui suivent sont très riches.
A l’issue du film, d’emblée, un jeune homme dit en s’adressant à la réalisatrice, femme de marin, “Votre vie c’est à peu près la vie des femmes de prisonnier”. Il ajoute qu’une des différences, c’est qu’en mer, il peut y avoir le téléphone. Marie explique que par contre le téléphone coûte très cher. Un des détenus est marin pêcheur, il témoigne être parti parfois 4 mois dans le sud ouest de l’Irlande sur un bateau de 120 mètres sans téléphone, il pouvait appeler uniquement près des côtes. Il y a quelques années, il était difficile de maintenir le lien avec les proches. 
Une autre différence soulignée par un détenu, c’est que la mer c’est dangereux, un marin peut ne pas revenir. La mer fait rêver mais c’est aussi un danger. Le marin pêcheur qui s’est exprimé précédemment dit qu’il a perdu 2 cousins et un oncle, il vient d’une famille de marins. Il dit, fataliste, “si la mer a décidé de vous prendre…”. Il a commencé à être marin à 14 ans.
Une autre personne a été skipper.
Quelqu’un souligne que les femmes du films sont de plusieurs générations mais qu’elles ont un point commun, c’est qu’elles pensent que si leur mari était tout le temps à la maison, ce serait difficile. Le marin explique que quand il rentrait, c’était la douche, le pot avec les copains, pour décompresser.
Quelqu’un dit que "les femmes de marins tiennent le coup!", ils sont admiratifs de ces femmes. L’une d’elle est fille, soeur et femme de marin et le vit bien parce qu’elle a toujours connu ça. 
Marie répond à une personne qu’elle a gardé des liens avec des femmes de marins.
Elle explique que la technique de l’animation en stop motion dans le film permet de raconter des choses qui seraient trop émouvantes, trop dures à raconter. Un des détenus fait remarquer que c’est long et difficile de faire un film d’animation. Marie explique qu’entre le moment où elle a eu l’idée de faire ce film et le moment où il est passé à la télé en 2020 sur France 3, il s’est passé 5 ans. C’est un long processus : il faut écrire le film pour donner confiance à un producteur, le convaincre, il faut trouver l’argent. Au final, le tournage a été assez court puisqu’il a duré un mois et le montage 2 mois. 
Le jeune homme du début souligne avec pertinence que dans son film, Marie a reconstitué le tableau de Marius Chambon (qu’on voit en introduction) avec les femmes de marin qu’elle a interrogées. C’est un peu une image d’Epinal des femmes de marin. Mais tout le monde remarque qu’elles ont leur vie à elles, qu’elles ne mettent pas leur vie entre parenthèse, que le film modernise l’image de la femme de marin. Une a été militante pour les droits des marins et des femmes de marin, elle a par ailleurs beaucoup voyagé. 
Marie a déjà montré le film à l’Ecole de marine marchande du Havre, les jeunes ont été très touchés par le film.
Un parallèle a été fait entre les prisonniers et les femmes de marins qui doivent tous faire preuve de patience. Le film pose la question de la place des personnes qui vivent autour de nous. Des stratégies sont utilisées pour maintenir le lien. Les moments privilégiés de retrouvailles donnent encore plus envies de profiter de la présence d’un proche, de faire attention à l’autre. Un détenu dit qu’il faut profiter de l’instant présent.
Marie explique que dans les sous-marins, toutes les communications sont contrôlées de près car étant donné de la difficulté de la vie à bord, il faut à tout prix veiller au bon moral des troupes.
Quelqu’un évoque la solidarité entre marin, “les humains sur terre l’ont pas”, c’est une famille.
Le film permet de réfléchir à beaucoup de choses même si on n’est pas marin.
Marie explique que quand on veut faire un film, on ne peut pas parler de tout, il faut faire un choix. Quel sujet? Quel regard? Quel angle? Et s’y tenir.

Discussion avec les détenus qui participent au projet
Yasser, Nour et Bruno ont l’air très motivés par le projet, les autres participeront aux prochaines séances car ils n’étaient pas disponibles.
Bruno explique qu’il fait lui aussi partie d’une famille de marins, qu’il vient des îles.
Comme il ne sera pas possible de faire sortir des détenus pour le film, Marie va leur rapporter des sons et des images en fonction de leurs demandes. Ce sera de la matière pour le film. D’autant plus qu’il est possible de filmer peu de choses en détention.
Elle leur proposera de raconter une histoire personnelle en lien avec la mer, elle va les enregistrer.
Ils vont découvrir le matériel de tournage, d’enregistrement, les lumières…
La graphiste qui interviendra pour la partie en stop motion est celle qui est intervenue sur le film “Dans les bras d’un matelot”.
Ce projet sera une découverte totale pour Nour, Yasser a déjà un intérêt pour la musique et le clip, Bruno a déjà réalisé quelques clips.
Tous les 3 listent les sons que Marie doit collecter : oiseaux, vent, vagues, corne de brume, communications entre les bâteaux…, les images : phare, port, plage, falaise, vagues, les objets : coquillages, bibelots (comme dans le film), sable, galets…
Ils vont raconter des histoires vraies ou imaginaires. Nour préfère rester dans le réel.

Là-bas la mer A l'ombre des sentiments
Marius Chambon, “Attente sur la plage de Berck”, 1909, Huile sur toile