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E.T. DANS L’ŒUVRE DE STEVEN SPIELBERG

Les spectateurs adultes aujourd’hui ont pu voir et revoir ce film un nombre incalculable de fois et avoir l’impression de le connaître « par cœur », anticipant chaque réplique, chaque rebondissement. Mais, paradoxalement, cette impression de familiarité avec l’œuvre a souvent pour conséquence de nous en éloigner. Car notre plaisir n’est plus engendré par le film lui-même, mais par les réflexes pavloviens qu’il déclenche : « le spectateur voit dans un film ce qu’il va y apporter. Autrement dit, il verra (inconsciemment ou pas) ce qu’il a bien envie de voir. L’observation d’un film influerait ainsi la réalité de ce dernier ». (William Friedkin, cité par Matthieu Ruard dans son analyse d’E.T.)
Il est ainsi curieux de constater que E.T. est resté dans la mémoire collective comme un film naïf, alors qu’il possède en substance un portrait assez déstabilisant de la famille et de l’humanité. Cet aveuglement du spectateur est dû en réalité au talent de Spielberg lui-même, qui prend un malin plaisir à brouiller les pistes utilisant avec brio le pouvoir d’identification.

Un film de science-fiction ?

Genèse

E.T. l’extraterrestre est le septième long métrage réalisé par Spielberg. Après les succès des Dents de la mer (1975) ou des Aventuriers de l’Arche perdue (1981), le réalisateur n’a plus rien à prouver. Au sommet de son art et de l’industrie hollywoodienne, il souhaite alors faire un film plus intimiste que ses précédentes productions.
Spielberg aime faire référence, à propos de la genèse du film, au conseil que lui aurait donné François Truffaut sur le tournage de Rencontres du troisième type (1977) : « vous devriez faire un film sur les enfants ». Il imagine également E.T. comme une variante de Rencontres du troisième type en inversant les destins : ce ne sera plus l’humain qui partira vers l’ailleurs, mais un extraterrestre qui débarquera sur la Terre…

Confusion des genres

Ainsi, alors que l’on devait attendre la toute fin de Rencontres du troisième type pour découvrir les êtres venus de l’espace, E.T. s’ouvre d’emblée avec la soucoupe spatiale. Il s’agit donc d’un film de science-fiction qui a pour décor une maison, une forêt et le ciel rempli d’étoiles. Un film qui relève tout autant de l’intime que de l’étrange, du quotidien que de l’extraordinaire.
De Duel (1971) à West Side Story (dernière réalisation en date dont la sortie est prévue en 2020), Steven Spielberg a en effet continuellement mis en scène des personnages ordinaires plongés dans des situations extraordinaires. Des hommes et des femmes du quotidien qui pourraient donc être tout à fait nous-mêmes — dans E.T., une mère élevant seule ses enfants dans une banlieue pavillonnaire. Finalement, le spectateur ne se préoccupe plus de cet univers quotidien pour se concentrer uniquement sur l’élément extraordinaire qui s’y invite : ici un camion fou, là un requin tueur ou un extraterrestre…

En habile cinéaste, Spielberg manipule son spectateur, choisissant ce qu’il veut bien lui montrer tout en exprimant, sans en avoir l’air, une réflexion mélancolique sur le monde réel.
Par exemple, on trouve dans E.T. cette très belle scène où la mère, déguisée pour Halloween et se retrouvant finalement seule, tente d’éteindre une bougie avec une baguette magique de plastique. Il lui faudra de nombreuses tentatives pour parvenir à étouffer la flamme. Aucune magie donc dans cette scène ; mais on peut y ressentir, au contraire, une profonde tristesse…
Aussi l’ensemble du film peut-il être considéré comme la rencontre de plusieurs genres cinématographiques : la science-fiction, le drame familial, la comédie. Cet étonnant mélange des genres est riche d’opportunités pour le réalisateur ; il lui permet, dans un film « grand public », d’aborder frontalement les questions du sentiment d’abandon, de la méfiance envers les autorités, de l’exclusion, de la perte de l’innocence et l’acceptation de la mort…