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II - Un personnage à la croisée des mondes, tiraillé entre les deux destins qui s’ouvrent à lui.

Comme une mise en abyme de ces questions liées au(x) genre(s) cinématographique(s), le film lui-même multiplie les oppositions, mettant en conflit les espaces, les lieux, les temps.
On l’a vu, l’opposition est d’abord d’ordre historique et social. Billy incarne une nouvelle génération qui assiste à la fin d’un monde. Celui de ses parents et grands-parents, qui ont travaillé toute leur vie dans l’industrie du charbon. Le conflit social précipite la chute de cet univers qui appartient presque déjà au passé ; il laisse pour vestiges l’architecture des cités ouvrières — terrain de jeu et de danse pour Billy — et la culture de ses habitants, tiraillés entre les traditions et l’envie d’un renouveau.

2.1 Billy, personnage en transition

Aussi le personnage de Billy se trouve-t-il propulsé dans un entre-deux. La notion de transition caractérise son parcours, ses choix, son rapport aux autres personnages — notamment sa famille. Car l’enfant, presque adolescent, amorce la première grande transition de son existence.

Cette étape de son parcours, sans nul doute initiatique, est présentée de façon particulièrement poétique dans une séquence très courte. Billy et Debbie marchent dans la rue, peu de temps après la première intrusion de Billy dans le cours de Madame Wilkinson. Debbie cherche à convaincre Billy de revenir danser, arguant que « des tas de garçons font de la danse » — argument que Billy répètera d’ailleurs plus tard à son père.

Billy Elliot « Strike Now ! » (34 sec)
L’injonction « Strike Now ! » (Faites grève !) sur les affiches rappelle évidemment le contexte social du film. Mais si le nom strike désigne bien la grève, en anglais le verbe to strike signifie aussi « frapper ».
Alors à qui l’injonction s’adresse-t-elle ? Autant aux mineurs qu’à Billy, semble-t-il. Ces mots, qui ouvrent la séquence, en posent tout de suite l’enjeu. C’est le premier nœud dramatique majeur du film : Billy doit choisir… en frappant un grand coup. Deux options s’offrent à lui : obéir à son père — « Billy, cogne-le ! », crie-t-il pendant la séance de boxe — et à la tradition, ou bien obéir à son instinct — son talent — et apprendre à danser.
À la fin de cette courte séquence, le récit ne donne apparemment pas la solution au dilemme de Billy. Pourquoi alors, le spectateur a-t-il l’impression dès cet instant que Billy choisira la danse, alors qu’il vient d’affirmer le contraire — « Je ne peux pas, j’ai boxe » ? Sans doute parce que cette séquence est nettement marquée par une atmosphère singulière : liée à l’innocence de l’enfance, qui autorise encore tous les rêves sans même mettre en doute la possibilité de leur concrétisation. Ainsi, le bâton que tient Debbie passe du mur de briques au mur de boucliers des policiers, sans qu’elle y prête attention. Plus étonnant encore, la nouvelle amie de Billy semble tout simplement s’évaporer une fois la conversation terminée, au passage du véhicule de police. À la limite du merveilleux, cet « évanouissement » termine de donner à la séquence une tonalité onirique. Malgré le sens des responsabilités dont il fait déjà preuve, Billy a encore l’audace insouciante de l’enfance.

2.2 Les transitions et oppositions, exprimées grâce aux éléments formels du langage cinématographique

Dans cette partie, les passages entre guillemets sont tirés du dossier pédagogique édité par Les Grignoux (http://www.grignoux.be/dossiers-pedagogiques-130.0)

2.2.1 La couleur

Opposition entre deux mondes : la danse et la mine

« On aura peut-être remarqué dans Billy Elliot que l'emploi de la couleur n'est pas tout à fait neutre. Certaines couleurs reviennent ainsi régulièrement. Une dominance de bleu et de jaune vif semblent « tonifier » l'environnement terne des corons : portes, châssis de fenêtres, objets d'intérieur, papier peint. Au début du film, Billy porte un tee-shirt jaune. Lorsqu'il imagine sa mère dans la cuisine, celle-ci apparaît vêtue d'une robe bleu vif. On retrouve également ces tons contrastés, et finalement assez agressifs, à d'autres endroits du film en rapport avec ce « côté-là de la barrière » : l'alouette privée qui transporte les jaunes est d'un bleu vif qui tranche avec le jaune des œufs jetés par les grévistes sur le véhicule. Le pont roulant, structure industrielle imposante qui surplombe le bras d'eau traversé par Billy et madame Wilkinson est lui aussi recouvert d'une peinture vive bleue et jaune.
Une dominance de bleu et de jaune vif semblent « tonifier » l'environnement terne des corons : portes, châssis de fenêtres, objets d'intérieur, papier peint.
Le pont roulant, structure industrielle imposante qui surplombe le bras d'eau traversé par Billy et madame Wilkinson est lui aussi recouvert d'une peinture vive bleue et jaune.
Quant au monde de la danse, il est marqué par un autre jeu de couleurs qui revient périodiquement dans le film : le bleu (qui joue donc un peu le rôle de lien dans le film) et le blanc. C'est le blanc des tutus et chaussons qui contraste avec le bleu des bottines de Billy, par exemple. Lorsque Billy commence à suivre des cours clandestins de danse, l'accent est mis sur les effets esthétiques produits par l'utilisation de ces tons : les murs de la salle sont blancs, le sol est bleu vif. Les costumes portés par l'enfant et son professeur rappellent cette opposition : short et singlet blancs pour Billy, tunique et pantalon bleu vif pour madame Wilkinson. De cette scène se dégage par la couleur une sorte d'harmonie contrastée, qui semble faire écho à la tonalité de la séquence, marquée par un début de complicité mais aussi par le conflit (Billy fait un certain nombre de reproches à madame Wilkinson, celle-ci le gifle).»
Le blanc des tutus et chaussons qui contraste avec le bleu des bottines de Billy.
L'emploi de la couleur n'est pas tout à fait neutre

Opposition entre deux espaces : le sol et l’air.

Ces deux espaces coexistent en s’opposant tout au long du film. Billy appartient à chacun : il est autant terrestre qu’aérien. Ce sont les deux composantes de sa façon de danser, dans un mélange des genres étonnant de spontanéité. Aérien, grâce à la légèreté et aux envolées de la danse classique. Ancré à la terre, par les claquettes qui frappent le sol, encore et encore. Billy a donc trouvé avec son corps un mode d’expression bien à lui, unique, moderne, opérant la synthèse de deux univers. Or, cette « invention poétique » semble peu à peu gagner tout le film et les autres personnages, comme si la transformation de Billy avait aussi métamorphosé le monde qui l’entoure.

« Une autre scène remarquable quant à l'emploi de la couleur est celle de la course-poursuite entre Tony et les policiers, présentée comme une sorte de ballet moderne qui s'orchestre sur une musique des Clash. Les nombreux agents rassemblés pour la circonstance forment une masse compacte noire. On y décèle un mouvement saccadé, désorganisé et brutal, qui tranche avec le mouvement aérien et fluide des rangées de linge immaculé qui flotte suspendu entre les maisons. Une certaine beauté plastique se dégage ainsi d'une scène qui n'a rien de beau en elle-même. »
Opposition entre deux espaces : le sol et l’air.
Le mouvement aérien et fluide des rangées de linge immaculé qui flotte suspendu entre les maisons.

2.2.2 Le montage

Billy Elliot présente à plusieurs reprises des choix de montage originaux. Ces parti-pris, parfois singuliers, soutiennent les grands axes du récit en transmettant les mêmes idées par le biais des juxtapositions d’images. On retiendra ici, pour exemples, les cas d’une séquence en montage alterné, et de deux raccords donnant à voir une ellipse.

Montage alterné

Au cinéma, le montage alterné consiste à faire se succéder des scènes simultanées, mais ayant lieu à des endroits différents. Ce type de montage permet de mettre en parallèle plusieurs scènes, créant souvent une tension ou du suspense… « La séquence alternée est elle aussi remarquable. Cette séquence se situe dans le prolongement d'une scène fort émouvante: celle où Billy confie des choses intimes à madame Wilkinson, notamment la lettre que sa mère lui a adressée avant son décès. Juste après cette scène, tous deux se mettent à danser le boogie dans la salle de boxe. Viennent alors s'intercaler des plans montrant isolément Jackie, Tony et la grand-mère, chacun en train de « danser » à sa manière. Cette séquence alternée a pour effet de construire entre des situations qui n'ont rien à voir les unes avec les autres, une certaine unité qui sera d'ailleurs consolidée par l'emploi de la musique, musique qui joue donc un peu le rôle de ciment entre ces quatre situations rapprochées par le montage. »
Une musique qui joue le rôle de ciment entre quatre situations rapprochées par le montage.

Raccords

« Quant aux raccords originaux que l'on peut observer dans le film, ils ont pour fonction de mettre en évidence deux ellipses de temps remarquables. Il faut dire qu'à de très rares exceptions près, les films de fiction contiennent de nombreuses ellipses temporelles, portant sur des périodes plus ou moins longues. Mais le spectateur de cinéma est à ce point habitué à ces « coupures » dans le temps qu'il ne les remarque plus, rétablissant au fur et à mesure des images la continuité du récit. Néanmoins dans le cas de Billy Elliot, Stephen Daldry a tenu manifestement à montrer avec insistance (et à deux reprises) que du temps avait passé. Il lui fallait, pour cela, trouver des moyens originaux.

Ainsi pour passer de la course désespérée de Billy, qui vient buter contre un rempart de tôle, à la fête de Noël, le réalisateur n'a pas simplement juxtaposé deux plans différents, comme cela se fait d'habitude. Il a choisi de « raccorder » ces séquences d'une manière tout à fait particulière. Au terme de sa course, Billy s'effondre, assis dos contre la palissade. On voit alors son visage en gros-plan. Michael l'appelle et Billy réajuste son parka, la caméra toujours fixée sur son visage. Un contre-champ montre alors l'allée qu'il vient de parcourir. Celle-ci est couverte de neige ; il fait sombre et des garnitures lumineuses ornent quelques toitures. En quelques secondes, on comprend que du temps a passé depuis la visite de madame Wilkinson au domicile de la famille Elliot. Or, à cause de ce gros-plan sur le visage de l'enfant, qui semble ne pas avoir bougé, le spectateur est tout à fait surpris. Ce raccord inhabituel met donc quelque part en évidence la période qui s'inscrit entre les deux événements. Un peu comme si Stephen Daldry voulait décrire celle-ci comme une période vide, durant laquelle rien ne se serait passé. Comme si le temps s'était arrêté pour Billy, dont le rêve avait pris fin avec l'audition manquée et la dispute entre son frère Tony et madame Wilkinson.
Comme si le temps s'était arrêté pour Billy…
La seconde ellipse temporelle remarquable se situe à la fin du film. Elle sépare le départ de Billy pour Londres et le spectacle dont il est la vedette, dans une salle prestigieuse de la capitale. On comprend d'emblée que plusieurs années ont passé, mais dans ce cas encore, le raccord entre les deux séquences est inhabituel: on voit d'abord le visage de Billy à travers la vitre du bus qui prend de la vitesse. Dans un même mouvement, rendu flou par un défilé très rapide des images, on voit ensuite les visages de Jackie et de Tony. Ils sont dans le métro londonien. Mais ici, on peut imaginer que l'ellipse temporelle n'a pas pour fonction de désigner une période creuse ou vide; bien au contraire: elle sert à introduire l'épilogue du film, autrement dit la séquence qui va exposer des faits largement postérieurs à l'action, et dont on peut imaginer qu'elle va en compléter le sens ou la portée. On peut penser que ces années ont été des années d'apprentissage et de travail pour Billy, et des années plutôt monotones pour Tony et son père. On sait, par des informations extérieures au film, qu'entre-temps les puits de charbon ont été fermés pour la plupart. Jackie semble toujours aussi perdu qu'il l'était lorsqu'il avait accompagné son fils à l'audition. Manifestement, il n'a guère eu l'occasion de quitter Everington : il n'arrive pas à presser le pas, traîne en arrière; on le voit dans l'escalier du métro à contresens de la foule. Ainsi, si le cours du destin s'est transformé pour l'enfant passionné de danse, on peut deviner que les choses n'ont guère évolué pour le reste de la famille. »
Le visage de Billy à travers la vitre du bus
Jackie semble toujours aussi perdu qu'il l'était lorsqu'il avait accompagné son fils à l'audition.