Synopsis :
1984. Billy, 11 ans, vit dans une petite cité minière du Nord-Est de l’Angleterre avec son père Jackie et son frère aîné Tony, mineurs, et sa grand-mère un peu sénile. Sa mère est décédée. Comme tous les hommes qui vivent là, Jackie et Tony participent à la grève massive des mineurs, fermement réprimée par le gouvernement. Billy va à l’école et prend des cours de boxe, suivant la tradition familiale, mais sans enthousiasme. Jusqu’au jour où le cours de boxe va devoir partager le gymnase avec le cours de danse classique de Madame Wilkinson et ses petites élèves en tutu. Billy se passionne pour la danse, qu’il se met à pratiquer en secret, poussé par Madame Wilkinson qui voit en lui un futur danseur professionnel. Billy doit affronter le rejet de sa famille pour mener à bien son projet : intégrer la prestigieuse école de danse du Royal Ballet.
Préambule
Ce parcours se veut être l’exploration d’un motif qui nous a semblé essentiel : celui de la transition, du choix. Billy Elliot est au croisement de tous les chemins. Film hybride, il mélange avec succès les genres cinématographiques pour devenir un objet original. Film ancré dans la réalité sociale et humaine, il donne à voir la fin d’un monde et peut-être la veille du renouveau — à l’image de son personnage principal, enfant à l’aube de l’adolescence.
I - Un film à la croisée des genres
Billy Elliot s’inscrit pleinement dans l’histoire du cinéma de son pays de production, la Grande-Bretagne. Une histoire marquée par des vagues successives de réalisateurs au propos souvent engagé, et se voulant toujours en rupture avec la génération précédente. Sans oublier, bien sûr, que l’expression toute britannique d’un humour décalé a traversé le temps et les époques. Billy Elliot, à l’aube du XXIe siècle, hérite autant des valeurs engagées du réalisme social britannique, que de l’esprit libertaire et souvent fantasque des auteurs d’outre-Manche.
1.1 Repères : la tradition britannique du réalisme social
Le cinéma primitif anglais est marqué par l'école de Brighton : les photographes James Williamson et George Albert Smith y découvrent, en filmant leur ville, les vertus d'un langage cinématographique qui se « fictionnalise ». Mais il faut attendre la fin des années 1920 pour qu'apparaisse John Grierson. Théoricien, maître du documentaire britannique, il réalise en 1929 le révolutionnaire moyen-métrage Chalutiers (Drifters), et, surtout, met en place des unités de production financées par les fonds publics (le ministère de la Poste en particulier). Il prône un cinéma engagé, animé par une saisissante poésie du réel ; sa forte personnalité ne l'empêcha pas de révéler ou de faire venir à lui d'innombrables talents comme les cinéastes Paul Rotha, Basil Wright, Harry Watt, Humphrey Jennings, Alberto Cavalcanti et Robert Flaherty, mais aussi le poète W. H. Auden et le musicien Benjamin Britten. Malgré le départ de Grierson au Canada en 1938, son influence persistera en Grande-Bretagne, y compris pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque le documentaire de propagande sera un banc d'essai pour de nombreux jeunes réalisateurs, parmi lesquels David Lean, Roy Ward Baker, John et Roy Boulting, Frank Launder et Sidney Gilliat.
Au milieu des années 1950, un groupe de jeunes critiques va se révolter contre un cinéma qui se sclérose. Il en résulte le mouvement décisif du Free Cinema, avec des courts-métrages signés Lindsay Anderson, Karel Reisz ou Tony Richardson. Stimulés par l'action parallèle des « jeunes gens en colère », auteurs rebelles qui secouent le monde du théâtre, de la littérature, puis du cinéma britannique (Les Chemins de la haute ville, de Jack Clayton, 1958), les jeunes loups du Free Cinema réalisent à leur tour des longs métrages où le drame individuel se conjugue à la dénonciation sociale, et dont l'âpreté s'exprime à travers une nouvelle génération de comédiens : Albert Finney dans Samedi soir et dimanche matin, de Karel Reisz, 1960 ; David Warner et Vanessa Redgrave dans Morgan, id., 1965 ; Richard Burton dans Les Corps sauvages, de Tony Richardson, etc.
Cette veine réaliste est bientôt relayée par une génération de cinéastes formés à la télévision, dont John Schlesinger (Un amour pas comme les autres, 1962), puis Ken Loach. Celui-ci, après de fracassants débuts à la B.B.C., secoue le cinéma britannique par son approche incisive de sujets sociaux, dépeignant des personnages marginaux dont les aspirations se heurtent à l'incompréhension voire la répression de leur entourage (Poor Cow [Pas de larmes pour Joy], 1967 ; Kes, 1969 ; Family Life, 1971). Il parvient à susciter l'émotion par une minutieuse appréhension du réel ; son art ne dédaigne pas le lyrisme, à condition qu'il soit mis au service d'une cause généreuse, comme en témoignera Le vent se lève (2006), bouleversante évocation du conflit irlandais qui lui vaut la palme d'or au festival de Cannes. L'intégrité de son regard n'a pas changé au fil des décennies, mais son approche s'est enrichie d'un humour corrosif, au contact de scénaristes remarquables (Bill Jesse pour Riff Raff, 1991 ; Jim Allen pour Raining Stones, 1993 ; Paul Laverty pour My Name Is Joe, 1998).
Au milieu des années 1950, un groupe de jeunes critiques va se révolter contre un cinéma qui se sclérose. Il en résulte le mouvement décisif du Free Cinema, avec des courts-métrages signés Lindsay Anderson, Karel Reisz ou Tony Richardson. Stimulés par l'action parallèle des « jeunes gens en colère », auteurs rebelles qui secouent le monde du théâtre, de la littérature, puis du cinéma britannique (Les Chemins de la haute ville, de Jack Clayton, 1958), les jeunes loups du Free Cinema réalisent à leur tour des longs métrages où le drame individuel se conjugue à la dénonciation sociale, et dont l'âpreté s'exprime à travers une nouvelle génération de comédiens : Albert Finney dans Samedi soir et dimanche matin, de Karel Reisz, 1960 ; David Warner et Vanessa Redgrave dans Morgan, id., 1965 ; Richard Burton dans Les Corps sauvages, de Tony Richardson, etc.
Cette veine réaliste est bientôt relayée par une génération de cinéastes formés à la télévision, dont John Schlesinger (Un amour pas comme les autres, 1962), puis Ken Loach. Celui-ci, après de fracassants débuts à la B.B.C., secoue le cinéma britannique par son approche incisive de sujets sociaux, dépeignant des personnages marginaux dont les aspirations se heurtent à l'incompréhension voire la répression de leur entourage (Poor Cow [Pas de larmes pour Joy], 1967 ; Kes, 1969 ; Family Life, 1971). Il parvient à susciter l'émotion par une minutieuse appréhension du réel ; son art ne dédaigne pas le lyrisme, à condition qu'il soit mis au service d'une cause généreuse, comme en témoignera Le vent se lève (2006), bouleversante évocation du conflit irlandais qui lui vaut la palme d'or au festival de Cannes. L'intégrité de son regard n'a pas changé au fil des décennies, mais son approche s'est enrichie d'un humour corrosif, au contact de scénaristes remarquables (Bill Jesse pour Riff Raff, 1991 ; Jim Allen pour Raining Stones, 1993 ; Paul Laverty pour My Name Is Joe, 1998).
1.2 Billy Elliot : entre héritage du réalisme social et incursion dans la comédie musicale
Cette démarche réaliste a finalement rejoint celle d’autres cinéastes originaux, qui ont su l’associer à leurs influences diverses. À partir des années 1980 et 1990, ce sont des réalisateurs comme Stephen Frears ou Mike Leigh qui s’illustrent dans ce savant mélange des genres. Le premier collabore avec des scénaristes-romanciers pour réaliser des films à l’humour décalé et sans concession, qui fait exploser les tabous (de My Beautiful Laundrette, 1985, à The Queen en 2006). Le second est autant metteur en scène de théâtre que réalisateur, et s’emploie à mêler réalisme et sens du grotesque (Naked, 1993, Secrets et mensonges, 1995, ou Vera Drake, 2004). Néanmoins, la virulence de la comédie sociale est allée s'émoussant, même si elle est réalisée avec talent pour plaire au plus grand nombre. Billy Elliot s’inscrit dans ce mouvement, à la suite de films à succès comme The Full Monty de Peter Cattaneo (1997), ou Les Virtuoses (Brassed Off) de Mark Herman (1996).
1.2.1 Contexte : les grandes grèves de 1984
Billy Elliot et Les Virtuoses partagent le même terrain de l’histoire sociale récente du Royaume-Uni. Les épisodes évoqués ont été les points culminants de longues luttes ouvrières dans le Nord-Est de l’Angleterre, berceau de la révolution industrielle britannique au XVIIIe siècle. Après une année de grève dure en 1984-1985, les mineurs sont contraints de reprendre le travail jusqu'à la disparition progressive de leurs emplois.
L’histoire de Billy Elliot coïncide avec cette année de grève. Quinze ans plus tard, le réalisateur reconstitue ainsi avec précision l’atmosphère de cette période trouble dans les villes minières en déclin. Le film situe l’action dans la petite ville fictive d’Everington, comté de Durham. Si l’endroit est imaginaire, le tournage a lui bien eu lieu dans une « vraie » cité minière, Easington Colliery. Comme toutes les villes du bassin minier du Nord-Est, Easington a été le théâtre des grèves de 1984, et de la répression brutale du gouvernement Thatcher.
Voici quelques images du photographe Keith Pattison prises à Easington en août 1984
L’histoire de Billy Elliot coïncide avec cette année de grève. Quinze ans plus tard, le réalisateur reconstitue ainsi avec précision l’atmosphère de cette période trouble dans les villes minières en déclin. Le film situe l’action dans la petite ville fictive d’Everington, comté de Durham. Si l’endroit est imaginaire, le tournage a lui bien eu lieu dans une « vraie » cité minière, Easington Colliery. Comme toutes les villes du bassin minier du Nord-Est, Easington a été le théâtre des grèves de 1984, et de la répression brutale du gouvernement Thatcher.
Voici quelques images du photographe Keith Pattison prises à Easington en août 1984
D’une certaine manière, le film Les Virtuoses donne à voir la suite — et fin — de l’histoire des mineurs grévistes de 1984. Mêlant de manière ludique drame et comédie sur fond de fanfare musicale, le film ne verse cependant pas dans la noirceur. La fanfare vient ici jouer en contrepoint d'aspects sociaux douloureux — chômage, maladie, familles disloquées, précarité... Le titre Brassed off signifie « en avoir ras le bol », mais fait également référence aux cuivres (brass) d'un orchestre. La musique, symbole de fraternité, vient structurer un tissu social et humain qui se délite. En filmant au plus près cette micro-société, le réalisateur met en relief l'aspect tragique des destinées individuelles. Le montage alterné croise les itinéraires individuels et leurs destins collectifs, pour pointer les déterminismes. Sans la mine, la fanfare perd son sens. La victoire finale garde un goût amer face à un groupe dépossédé de son outil de travail. La musique apparaît comme une parenthèse face à des enjeux plus profonds soulignés au générique final : « Depuis 1984, quarante mines ont fermé et 250 000 personnes ont perdu leur emploi. »
1.2.2 Billy Elliot, personnage de comédie musicale ?
Parallèlement à ces considérations d’ordre social et historique, le spectateur aura remarqué la place centrale accordée à la bande-son, et évidemment, à la danse. Bien entendu, une partie de la bande sonore sert à inscrire le film dans son époque et ses débats engagés. Les chansons des Clash et des Jam accompagnent Billy et le spectateur, sur fond de musique punk et de textes révolutionnaires. Mais la musique déborde littéralement de cette fonction illustrative. Comme la séquence pendant laquelle Madame Wilkinson raconte l’histoire du Lac des Cygnes sur le pont, la musique est passerelle tout au long du film. Elle lie les séquences les unes aux autres, et unit les personnages même s’ils se trouvent dans des espaces différents.
À l’instar de deux autres films déjà cités, The Full Monty et Les Virtuoses, Billy Elliot s’aventure donc sur le terrain d’un genre cinématographique radicalement différent du réalisme social, et caractérisé en premier lieu par la fonction narrative de la musique : la comédie musicale. Genre éminemment populaire venu des États-Unis, la comédie musicale s’inscrit dans la tradition du music-hall, du grand spectacle à la Broadway dont les vedettes sont des artistes accomplis qui excellent dans le jeu d’acteur, la danse et le chant.
Le jeune Billy, et son interprète Jamie Bell, seraient-ils donc de la trempe des grandes stars américaines ? C’est ce que semblent dire le film, en associant à plusieurs reprises Billy à deux « monstres sacrés » du genre : Fred Astaire et Gene Kelly. Ces derniers incarnent deux types de personnages — et de danseurs — très différents, dont Billy fera en quelque sorte la synthèse. Fred Astaire est à l’image du dandy : élégant et cultivé, souvent solitaire, parfois mélancolique, il danse tout en finesse. Kelly est quant à lui le reflet d’une classe sociale bien plus modeste, qui vit de son labeur, et la plupart du temps dans la communauté de ses semblables. Sa danse est comme lui : athlétique, ancrée à la terre et à la réalité. Billy représente un peu les deux, comme le suggère l’apparition d’un extrait de Top Hat (Mark Sandrich, 1935) au début du film. Alors qu’il rentre de son premier cours de danse, gants de boxe autour du cou, Billy flâne, un bâton à la main. La musique de Top Hat s’immisce doucement dans la séquence, tandis que Billy joue en rythme avec son bâton, et tape la mesure d’un pied…
À l’instar de deux autres films déjà cités, The Full Monty et Les Virtuoses, Billy Elliot s’aventure donc sur le terrain d’un genre cinématographique radicalement différent du réalisme social, et caractérisé en premier lieu par la fonction narrative de la musique : la comédie musicale. Genre éminemment populaire venu des États-Unis, la comédie musicale s’inscrit dans la tradition du music-hall, du grand spectacle à la Broadway dont les vedettes sont des artistes accomplis qui excellent dans le jeu d’acteur, la danse et le chant.
Le jeune Billy, et son interprète Jamie Bell, seraient-ils donc de la trempe des grandes stars américaines ? C’est ce que semblent dire le film, en associant à plusieurs reprises Billy à deux « monstres sacrés » du genre : Fred Astaire et Gene Kelly. Ces derniers incarnent deux types de personnages — et de danseurs — très différents, dont Billy fera en quelque sorte la synthèse. Fred Astaire est à l’image du dandy : élégant et cultivé, souvent solitaire, parfois mélancolique, il danse tout en finesse. Kelly est quant à lui le reflet d’une classe sociale bien plus modeste, qui vit de son labeur, et la plupart du temps dans la communauté de ses semblables. Sa danse est comme lui : athlétique, ancrée à la terre et à la réalité. Billy représente un peu les deux, comme le suggère l’apparition d’un extrait de Top Hat (Mark Sandrich, 1935) au début du film. Alors qu’il rentre de son premier cours de danse, gants de boxe autour du cou, Billy flâne, un bâton à la main. La musique de Top Hat s’immisce doucement dans la séquence, tandis que Billy joue en rythme avec son bâton, et tape la mesure d’un pied…
L’extrait du numéro de Fred Astaire prend alors la place du plan précédent. On y découvre un Fred Astaire en haut de forme et queue-de-pie, dansant canne à la main. Le spectateur comprend : Billy a tout d’un Fred Astaire, si ce n’est les origines et l’allure, empruntées à Gene Kelly. C’est le sens du simple bâton, équivalent beaucoup moins chic de la canne.
Pour autant, Astaire, Kelly et Billy ont bien en partage un style de danse. Tous les trois pratiquent en effet les claquettes, qui constituent un ressort essentiel de la comédie musicale, en particulier américaine. Les claquettes donnent lieu à toutes les excentricités, offrant au public le spectacle d’acrobaties toujours plus impressionnantes, voire impossibles… Voyez par exemple ces deux extraits de Royal Wedding (Stanley Donen, 1951). Le premier a été considéré comme l’un des numéros de danse les plus réussis de Fred Astaire. Le second est resté dans les annales pour l’inventivité de ses trucages…
Pour autant, Astaire, Kelly et Billy ont bien en partage un style de danse. Tous les trois pratiquent en effet les claquettes, qui constituent un ressort essentiel de la comédie musicale, en particulier américaine. Les claquettes donnent lieu à toutes les excentricités, offrant au public le spectacle d’acrobaties toujours plus impressionnantes, voire impossibles… Voyez par exemple ces deux extraits de Royal Wedding (Stanley Donen, 1951). Le premier a été considéré comme l’un des numéros de danse les plus réussis de Fred Astaire. Le second est resté dans les annales pour l’inventivité de ses trucages…
Fred Astaire dans Mariage Royal (Royal Wedding 1951) :
L’histoire partagée de Billy Elliot et de la comédie musicale ne s’est pas arrêtée à la sortie du film. En effet, en 2005, une partie de l’équipe du film se penche sur un nouveau projet. Le réalisateur, Stephen Daldry, le scénariste Lee Hall et le chorégraphe Peter Darling, s’associent avec le musicien Elton John pour créer une comédie musicale tirée du film. L’histoire, bien qu’elle reprenne l’essentiel des personnages et de la structure narrative du film, est adaptée à la pratique scénique, multipliant les numéros de danse et de chant et simplifiant l’action et la psychologie des personnages.
Le spectacle a connu un tel succès qu'il est encore en tournée en 2017. En 2014, il avait aussi fait l’objet d’une captation, éditée en DVD. Un extrait (5min 33sec) de la comédie musicale tirée du film (captation de 2014) :
Le spectacle a connu un tel succès qu'il est encore en tournée en 2017. En 2014, il avait aussi fait l’objet d’une captation, éditée en DVD. Un extrait (5min 33sec) de la comédie musicale tirée du film (captation de 2014) :