Cette séquence est un écho de la toute première, qui voit l’entrée de Mischa dans le merveilleux par l’entremise de son ballon. Mélange de burlesque et de merveilleux, la séquence brouille les sens comme les lois physiques. Le grand débordement est en marche : le merveilleux se diffuse à grande vitesse de la rue aux appartements, captant au passage enfants, adultes, animaux…
Cet excès de merveilleux, ancré dans une réalité bien tangible, est un motif typiquement surréaliste. Car la surréalité est une réalité essentielle, plus vraie, plus riche, plus intense que le réel ordinaire. Le merveilleux quotidien, qui constitue la jonction entre réel et imaginaire, agit donc ici comme un révélateur de la surréalité.
D’ailleurs, le film semble se mettre lui-même à contribution dans cet effort collectif de déconstruction des sens et de l’ordre établi. Ralenti, marche arrière… Il y a là une mise en abyme : comme les enfants avec leurs ballons, les cinéastes jouent avec la matière film.
Le père qui corrige son fils, voulant rétablir de l’ordre, n’y change rien. Cet adulte est très réfractaire à l’imaginaire enfantin. À l’inverse de la fée transformant la citrouille en carrosse, il s’efforce de redonner aux ballons leur nature réelle — oranges et choux-fleurs. Vaine tentative, malgré l’autorité dont il fait preuve et les pleurs d’enfants à la fenêtre.
Mais cette dureté est contrebalancée par deux personnages encore sensibles à l’imaginaire des enfants. On aperçoit le grand-père, qui accompagne la scène de son violon. Il s’agit d’une amorce : la séquence suivante l’introduira comme partie prenante du merveilleux, en découvrant l’évasion des animaux dans son appartement. Et bien sûr, le vendeur de ballons : loin de se fâcher d’avoir perdu sa marchandise, il célèbre avec les enfants cette éruption soudaine de fantaisie. De fait, il est complètement assimilé à l’environnement enfantin ; le plan qui le voit surgir de l’amas de ballons est révélateur. À hauteur d’enfant, cet amas est une véritable montagne qui remplit presque le cadre. Le vendeur qui en émerge, à la physionomie tout en rondeurs, est en quelque sorte lui-même devenu ballon.
Pour aller plus loin : découvrez la première séquence mentionnée dans la fiche interactive de
Katia et le crocodile.