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ALLÉGORIE D’UN POÈTE EN LUTTE

Edward Burton

On l’a dit, les personnages et les histoires de Tim Burton portent en leur sein une part indéniable d’autobiographie, nourrie de son enfance, des souvenirs et des ressentis qu’il peut convoquer. Ses personnages finissent même par lui ressembler physiquement. Edward n’échappe pas à la règle : il porte la même tignasse ébouriffée que Tim Burton.
Quant à ses mains-ciseaux, leur fonction utilitaire et créatrice n’est pas sans rappeler les crayons qui accompagnent le cinéaste dans son quotidien.
Comme il le fait souvent dans ses films, Tim Burton se projette pleinement dans le personnage qu’il a créé. Edward porte en lui la même ambivalence que Burton à l’égard de la création : celle de l’artiste tantôt adulé pour son originalité, tantôt rejeté parce que jugé subversif. Ce rapport en clair-obscur à l’art et l’activité créatrice trouve bien sûr un écho dans de nombreux récits. La figure du créateur qui se détruit rappelle bien entendu Frankenstein, et convoque également d’autres mythes, comme celui de Prométhée. Dans sa colère, Edward détruira méthodiquement toutes ses créations : en coupant ici une jambe, là autre chose…
L’assimilation de Suburbia à Burbank amène aussi à penser une métaphore de l’industrie hollywoodienne du cinéma. Verrouillée par les grandes compagnies de production, elle laisse peu de place aux cinéastes porteurs d’un regard différent, jugé peu vendeur… comme Tim Burton à ses débuts.

Poétiser le monde

Car c’est finalement bien la place du poète que Tim Burton interroge en filigrane dans son œuvre. De quelle place, de quelle fonction parle-t-on ? On a évoqué plus haut l’idée qu’Edward n’est pas peut-être pas le personnage principal du film. Dans cette perspective, sa fonction est d’amener Kim, la jeune fille devenue grand-mère, à voir différemment le monde pour entrer dans l’âge adulte. Edward est l’accident qui fait entrer la différence dans un monde très normé : il est l’artiste qui bouscule le regard, le poète qui secoue les esprits.

Or, en matière de secousses, le film développe un motif sans équivoque. Il apparaît en même temps que le monde d’Edward : dans le rétroviseur de Peg.
Revenons sur cette image : le château inscrit dans le cercle du miroir, puis, dans sa seconde apparition, entouré d’une coupole de nuages cotonneux. Un peu plus tard, Edward pénètre dans la chambre de Kim. Au premier plan, en amorce sur la droite, des étagères auxquelles Edward jette un coup d’œil : elles supportent toute une collection de boules à neige.
Ces petits mondes contenus tout entier dans une sphère sont à la fois artificiels et féériques, à l’image de cette petite ville, une fois traversée et transformée par Edward. Et une boule à neige, c’est bien un univers qu’il faut secouer, renverser même, pour le voir se métamorphoser — en plus beau.

Le motif de la boule à neige traversera le film, et accompagnera la transformation de Kim. Car si le personnage évolue, sa représentation à l’image évolue en même temps. Le spectateur découvre Kim, à travers le regard d’Edward, sur les photos de famille que lui présente Peg à son arrivée dans la maison. De fait figée et encadrée, la jeune Kim apparaît comme l’adolescente modèle,
qui joue comme il se doit son rôle de fille, sœur, petite-amie et cheerleader. Au terme de sa transformation aux côtés d’Edward, Kim devient une autre : en mouvement, sans cadre, elle danse sous la (fausse) neige que fait tomber Edward en sculptant la glace. Pour la première fois, la musique intérieure d’Edward est entendue, accueillie, assimilée.