Nos corps adolescents
Résidence artistique autour de la danse et de la vidéo avec les élèves de l’option danse du Lycée François 1er, Le Havre (76)
Décembre 2024 à mai 2025
Point de départ
Ce désir de résidence est parti d’une rencontre entre Corinne Delaire professeur de danse au Lycée François 1er du Havre et la journaliste réalisatrice Marie Benoist, lors d’un tournage au lycée il y a quelques années... Elles ont échangé autour du métier de l’enseignante et Marie Benoist a découvert grâce à elle l’option danse, option dont elle ignorait l’existence. C’est une option qui associe plusieurs partenaires dont le Ministère de la Culture, la DRAC et le Centre National Chorégraphique, Le Phare, une option qui se décline en cours pratiques et théoriques mais qui ne se destine pas obligatoirement à de futurs danseurs. En cela, elle répond à l’une des missions de l’école : l’égal accès à la culture et à la pratique artistique, mais elle a aussi ceci de très spécial, elle propose aux adolescents un espace-temps, une bulle en dehors des cours classiques, un endroit refuge où le corps est sans cesse sollicité et surtout valorisé.
Corinne Delaire a parlé avec tant de ferveur de cet enseignement qu’elle a commencé il y a 30 ans au lycée François 1er... elle semblait animée encore par un amour sincère de son métier. Alors qu’en tournage, en tant que journaliste, Marie Benoist rencontre plus souvent des enseignants qui n’ont plus vraiment foi dans leur travail… Cette dernière a alors eu envie de découvrir cette option et l’enseignante lui a ouvert les portes de l’option danse à la rentrée 2023. Depuis Marie Benoist a pu s’immerger quelques heures par mois dans ses cours, auprès d’elle et de ses élèves et elle est entrée progressivement dans le groupe, dans la danse jusqu’à l’envie de proposer avec son soutien un projet de résidence autour de la vidéo… C’est là qu’intervient Normandie images et le dispositif Passeurs d’images.
Le projet « Nos corps adolescents »
Au fil des heures passées dans cette salle de danse, Marie Benoist a aussi observé et échangé avec ces adolescents ... Certain(es) semblaient être déjà très à l’aise avec l’idée de « se montrer », de faire bouger leur corps devant les autres, d’autres beaucoup moins... Petit à petit, l’idée de travailler avec les élèves de l’option danse sur leur rapport au CORPS a peu à peu fait son chemin, d’autant que la réalisatrice venait de terminer la réalisation d’un film documentaire dans lequel la question du corps était centrale : “Suzanne, le bistouri et le féminisme”... (un film sur l’histoire de la première femme chirurgien esthétique au monde et qui plus est, militante féministe...)
Mais revenons au lycée… Il s’agit véritablement d’une période charnière, une forme de transhumance entre enfance et âge adulte, une période où le corps continue aussi à se transformer. Une période où le corps peut être montré ou au contraire caché, malmené, voire transformé, une période où se jouent également les rapprochements amoureux et les premières expériences sexuelles… Le projet de résidence « Nos corps adolescents » va permet de parler du corps qui se transforme, du regard porté sur son corps, et celui des autres, des corps « différents », du rêve d’un corps parfait/ idéalisé, des corps qu’on aime ou que l’on déteste, des corps qui se rapprochent parfois... parler du corps, c’est aussi l’occasion d’une exploration des désirs des adolescents, de leurs angoisses et de leurs émotions.
Paroles d’adolescents
Fred, élève de Terminale : « Je me suis jamais senti bien dans mon corps, en fait j’ai l’impression que mon corps n’est pas en adéquation avec ma réelle identité... Dans la vie j’ai donc un rapport assez compliqué avec mon corps, en danse beaucoup moins… on est juste dans la sensation et l’exploration avec l’autre, on est dans le poids du corps, et non l’apparence et la forme...en danse le corps devient ton outil, et ce qui compte ce n’est pas qu’il soit joli ou pas… on peut faire beaucoup plus de choses qu’être joli...»
Thibaut, élève de Première : « Je suis le seul garçon de mon groupe, au début j’appréhendais mais maintenant j’ai trouvé ma place. Il y a quelques années j’avais un peu peur du regard des autres... pas toujours facile de dire que tu danses quand tu es un garçon… les gens pensent que tu es forcément homosexuel, en fait on s’en fout… Quand je danse j’oublie tout, je me recentre, je cherche un peu plus mes émotions, je me sens libre. C’est un peu libérateur, avant j’avais pas trop confiance en moi, la danse ça me permet de me défouler sans que je donne des coups »...
La démarche
En s’appuyant sur une transversalité avec d’autres disciplines du lycée, comme la philosophie ou la littérature, les lycéens, qu’ils soient danseurs ou non, pourront se nourrir de réflexions et références dans ces disciplines sur le corps et son évocation. A partir de ces réflexions, ils enregistreront (de manière anonyme) de courtes phrases/ poèmes, impressions, de leur composition personnelle ou empruntées à des auteurs, qui serviront ensuite de voix off et de trame pour élaborer de petites chorégraphies dansées et filmées. Ces vidéo-danse avec voix off seront au final intégrées à un spectacle de danse. Ainsi entreront en résonance dans ce spectacle : corps vivants, images filmées et voix des jeunes.
L’objectif est que les jeunes soient associés à toutes les étapes de la fabrication des petits films/ ou vidéos-dansées : conception, écriture, enregistrement des textes, découverte de la prise de vue et tournage des vidéos dansées... pour fabriquer finalement une œuvre collective, qu’il s’agisse de la danse et des parties vidéos qui se répondront dans un spectacle final.
Lancement du projet
Mercredi 11 décembre 2024, les élèves de seconde option danse, de première et terminale en section danse ont participé au lancement du projet en présence de leur professeure Corinne Delaire et de la réalisatrice Marie Benoist.
L’objectif de cette rencontre est de présenter le projet “Nos corps adolescents” aux jeunes et de découvrir le film “Suzanne, le bistouri et le féminisme” de Marie Benoist.
L’intérêt de cette séance est que les jeunes connaissent le travail de l’intervenante qui va les accompagner dans cette aventure.
Le projet leur est expliqué et les jeunes interagissent avec leur enseignante, intéressés et visiblement impatients. Il s’agira de réaliser des images venant nourrir la danse et de danser pour dialoguer avec les images.
Les jeunes visionnent le film qui évoque, comme le projet, le rapport au corps.
Synopsis de "Suzanne, le bistouri et le féminisme"
"Elle s'appelait Suzanne Noël. Une femme libre, une pionnière et un destin hors norme dans la France du début du 20e siècle. Première femme à pratiquer la chirurgie esthétique, avant de redonner figure humaine et dignité aux gueules cassées de la Grande guerre. Au début des années 20, elle lance le mouvement Soroptimist (sœurs pour le meilleur). Elle devient aussi une féministe engagée pour le droit de vote de ses semblables. Après des décennies d'oubli, il est temps de lui redonner la place qu'elle mérite dans notre Histoire."
Les élèves applaudissent chaleureusement le film et s’expriment à chaud. "J’ai adoré la façon dont ça a été filmé", "J’ai bien aimé les pointes d’humour". Il est vrai que ce documentaire est singulier et plein de vie.
"Comment avez-vous entendu parler de Suzanne Noël ? ". Marie Benoist est aussi journaliste pour France 3, il y a 6 ans, elle a été amenée à faire un reportage à Laon pour France 3 Picardie. Elle se documente sur la ville, va sur Wikipédia et découvre que Suzanne Noël est une figure emblématique de Laon, que c’est une pionnière de la chirurgie esthétique et une militante. Elle découvre dans un fonds d’archives une centaine de lettres qu’elle a écrites à sa mère et retraçant sa vie ainsi qu’un livre qu’elle a écrit. L’idée de faire un film est née là. Elle obtient par la suite le soutien et la confiance de France 3 Hauts de France.
Une élève lui demande "Combien de temps à duré la réalisation du film? " Marie Benoist explique qu’entre l’idée et la diffusion, 3 ans se sont écoulés. Il faut d’abord trouver un producteur, puis une chaîne. Le temps de fabrication du film, tournage et montage, est finalement assez réduit. Il y a eu 12 jours de tournage, 6 semaines de montage. C’est un film très collectif avec notamment une graphiste qui s’est occupée des animations en stop motion qui font l’originalité du documentaire.
Ce n’était pas simple de faire un film sur Suzanne Noël car il existe seulement une dizaine de photos d’elle et aucun film. La monteuse a donc recherché des images pour raconter la vie de Suzanne : images d’archives, films muets des années 20. Le stop motion permet d’évoquer la chirurgie esthétique par un jeu de découpage et de collage notamment des visages.
On s’ennuie parfois dans les films historiques, mais là, pas le moins du monde! De plus, la vie de Suzanne Noël évoque des problématiques contemporaines. Marie Benoist a voulu en faire un film "frais et pop".
Dans le cadre du projet "Nos corps adolescents", image et corps bien vivants vont cohabiter. Qu’est-ce qu’une image cinématographique va apporter de plus qu’un décor pour le spectacle final? Il va falloir lui donner un sens, de la polysémie, de l’esthétique, une ouverture vers d’autres dimensions qui ne sont pas présentes au plateau. Par exemple : une émotion. L’image sera une fenêtre sur l’imaginaire.
Marie Benoist qui était déjà venue photographier et filmer les jeunes l’année précédente, explique aux élèves qu’elle va sortir de sa zone de confort, car même si elle a déjà réalisé des films, elle n’a jamais mené ce type de projet. Elle va avoir besoin de leurs propositions pour construire quelque chose ensemble. Ils et elles sont des danseurs, elle connaît l’image, elle souhaite qu’ils la fassent entrer dans leur univers.
Ce serait intéressant de faire une captation de cette création éphémère car l’image seule ne pourra pas rendre compte de l’entièreté du projet.
Pour commencer, les élèves vont écrire des témoignages, des textes libres. Des pistes de réflexion seront fournies par Marie. Les textes seront collectés de façon anonyme. Il faudra ensuite choisir quelles images filmer pour cette matière. Les textes vont être lus et enregistrés.
Parmi les élèves, il y aura des groupes, certains vont être filmés, d’autres prendront le son ou l’image, s’intéresseront à la scénographie.
L’enseignante et Marie, qui ont parlé à deux voix, demandent aux élèves si ça leur dit?! Réponse unanime "Carrément!".
Corinne Delaire ajoute que ce ne sera pas un exercice scolaire. Ils pourront évoquer le plaisir de danser, dire pourquoi ils dansent, parler de leur corps… Le texte pourra être constitué de quelques mots seulement ou un poème, un haïku…
Une élève, Laura, a déjà commencé à filmer le début du projet ce jour-là, elle réalisera un making of.
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