Steven Spielberg a découvert le cinéma essentiellement par le biais de la télévision. On remarquera d’emblée dans le film à quel point cet objet est important et initiatique : la télévision permet à Elliot de faire son premier baiser à partir d’un extrait de L’homme tranquille (John Ford), ou à E.T. d’apprendre à parler.
Adolescent, le jeune Spielberg ne manque pas un épisode de La quatrième dimension (diffusée en 1959 et 1964 sur le réseau CBS), une série d'histoires fantastiques emmenant les téléspectateurs dans des mondes parallèles.
En voici l’accroche : "Nous sommes transportés dans une autre dimension, une dimension faite non seulement de paysages et de sons, mais aussi d’esprits. Un voyage dans une contrée sans fin dont les frontières sont notre imagination. Un voyage au bout des ténèbres où il n’y a qu’une destination : la quatrième dimension ».
Spielberg est également un grand amateur des films de science-fiction de série B des années 50. Sa référence absolue, selon lui, est Le Jour où la Terre s'arrêta de Robert Wise (1951), aujourd’hui considéré comme un grand classique. Son thème n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui d’E.T., puisqu’il s’agit d’une soucoupe volante qui atterrit sur Terre… Les humains pensent naturellement ses occupants hostiles, mais les extraterrestres sont en fait porteurs d'un message de paix pour l’humanité.
Le premier film de science-fiction du jeune Steven porte déjà en germe les idées directrices d’E.T.. Tourné en 1964 à l’âge de 17 ans, Firelight développe le thème de l’arrivée d’extraterrestres et d’un enfant solitaire dont les parents ne s’entendent pas. On y reconnaît également les lumières étranges, les visages sidérés regardant le ciel, les récurrences esthétiques (comme le contre-jour)…
Un enfant des Suburbs
Spielberg souhaite également, dans ce film, insérer une dimension autobiographique par le biais d’une évocation de sa propre enfance, passée dans cette banlieue américaine constituée d’ensembles pavillonnaires de la classe moyenne. Une de ces villes dortoirs, où tout semble anesthésié.
On pense à Tim Burton, lui aussi enfant des suburbs, qui a présenté de nombreuses fois ces cités de pavillons comme des lieux ne possédant, et donc n’offrant, aucune identité (zones résidentielles décentrées, lotissement encaissé dans une vallée anonyme…).
Spielberg raconte souvent combien il s’ennuyait dans le jardin du pavillon, coincé entre une mère possessive, deux soeurs et l’absence d’un père — ses parents ont divorcé, et cette séparation reste un traumatisme pour lui. D’où l’importance vitale du rêve dans son quotidien.
Car, chez Spielberg, seule l’enfance possède encore une capacité d’enchantement pour magnifier ces lieux remplis d’inertie. Les enfants vivent donc dans un monde aux règles autonomes. Souvenons-nous de la séquence où la petite bande en vélo effectue une course poursuite au sein d’un parcours interdit aux adultes qui tentent désespérément de les suivre. Ils passent par des raccourcis, des zones en friche, des terrains vagues dont ils semblent être les maîtres incontestés et qu’ils connaissent dans les moindres recoins.
Seule l’enfance possède une capacité d’enchantement
E.T. et Elliot : la fin de l’enfance
L’objet transitionnel d’Elliot
Elliot sera à l’image de ce que fut le petit Steven : un être solitaire, timide et se sentant marginal — ce qui fut, encore une fois, également le cas du petit Tim Burton. Son grand frère est indifférent et sa petite soeur trop envahissante. Sa mère, elle, est bien trop occupée pour prendre soin de lui et son père est parti refaire sa vie au Mexique.
On peut alors envisager le personnage de E.T. comme le fruit de l’imagination d’Elliot pour émerveiller son réel, soigner ses angoisses et échapper à l’ennui tout en se construisant une vie extérieure au monde des adultes. On notera à cet égard que E.T. peut même devenir peluche parmi d’autres peluches, comme s’il incarnait alors véritablement un « doudou » pour Elliot.
Ces « objets transitionnels » qui veillent sur un jeune personnage constituent un motif récurrent du cinéma sur l’enfance. On pourra rapprocher E.T. de Totoro (Mon voisin Totoro, Hayao Miyazaki, 1999), esprit surgissant du quotidien de la solitude de l’enfance, mais aussi de U (U, Serge Elissalde, 2006), une licorne venue au secours d’une petite fille désespérée par la cruauté de ses parents adoptifs.
Après des épreuves qui l’auront fait vivre le cycle de la vie jusqu’à la mort, E.T. finira par retourner sur sa planète mais ne reverra jamais Elliot. Pourtant, le petit extraterrestre prendra soin de dire au garçon « je serai toujours là ». Dans Totoro et U, esprit et licorne disparaissent lorsque les enfants sont devenus assez grands pour se débrouiller sans eux.
Le compagnon
Elliot et E.T. vivent en quelque sorte une situation similaire. Le petit garçon ne peut pas contacter son père au Mexique (un ailleurs relativement vague) et E.T. ne peut contacter son peuple dans l’espace (qu’il nomme « Maison ») : tous deux sont confrontés à un monde qui les effraie, à la fois trop vaste et trop fermé.
Au début de leur relation, Elliot, petit humain, considère E.T. dans un rapport de dominant/dominé. Il le voit presque comme un animal : il lui jette une balle, il tente de l’attirer avec des croquettes… Il devra donc apprendre à le considérer comme son égal : l’échange télépathique entre les deux êtres marquera symboliquement ce mouvement.
Mais cette proximité sensorielle n’est pas sans conséquence. Car la santé déclinante de E.T. menace d’entraîner Elliot dans la mort ; Spielberg pose ici une analogie entre la fin de l’enfance et une petite mort. Rappelons-nous Elliot, déguisé en Quasimodo pour Halloween. Son maquillage le fait ressembler à un mort vivant (visage vert pâle, yeux rouges).
Cette « petite mort » est-elle irrémédiable ? Bien au contraire, dans la caméra de Speilberg, ce passage est une transcendance.
Grandir pour prendre de la hauteur
Au début du film Elliot ne peut se faire entendre. Il nous est présenté, ignoré par son frère et ses amis qui jouent à un jeu de rôle, criant désespérément « je suis prêt à jouer maintenant ! ». Il clame qu’il se sent prêt à quitter l’enfance et à prendre sa place parmi les « grands ». Mais on lui refuse d’entrer dans la partie : « C’est Steve le maître du jeu : il a le pouvoir absolu ! ». Le reste de la famille ne l’écoute pas non plus, et il devra blesser sa mère (« je suis sûr que papa me croirait, lui » ) pour qu’elle le prenne au sérieux.
Avec l’arrivée de E.T., Elliot ne veut plus se taire. C’est lui qui devient le maître du jeu. Il impose d’ailleurs à son frère de lui reconnaître « le pouvoir absolu » pour l’autoriser à voir E.T. et, à son tour, à entrer dans le jeu.
E.T. va donc permettre, non seulement à Elliot mais aussi aux autres enfants de la cité pavillonnaire, de voir le monde avec un regard neuf et émerveillé. On pense bien entendu au « voyage aérien » en vélo : les enfants quittent alors la vision rampante qui avait jusqu’ici prévalu au film pour prendre de la hauteur. Ainsi, quand, à la fin du film, lors de la séquence des adieux, la caméra s’avance vers le visage d’Elliot, on peut croire qu’il a dépassé sa condition humaine et qu’il saura ne pas reproduire les erreurs de ses aînés.