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Le film

Normandie Images est particulièrement fière de présenter le film dans le cadre de ses opérations d’éducation aux images : Partir un jour a bénéficié d’un soutien à la production par la Région Normandie en partenariat avec le CNC et en association avec Normandie Images. La production a également bénéficié des services de l'Accueil de tournages de Normandie Images pour l'implantation et la préparation du tournage, le recrutement de professionnels et la relation au territoire.

Le tournage a eu lieu du 28 janvier au 5 février 2021 à Douvres-la-Délivrande, Grainville-Langannerie, Mondeville, Parfouru-sur-Odon, Saint-Aubin-sur-Mer et à Lillebonne (Seine-Maritime).

Récompensé aux César, Partir un jour a reçu la statuette du meilleur court-métrage de fiction 2023.
Partir un jour reçoit le César du meilleur court-métrage de fiction 2023. A gauche, en veste rose, Dimitri Lucas, co-scénariste du film.

Amélie Bonnin, réalisatrice de Partir un jour

Amélie Bonnin se définit elle-même comme "quelqu’un qui vient de l’image, pas du texte" (cf entretien pour Arte vidéo).
Elle n’évoque pas ici seulement ses œuvres cinématographiques mais sa formation de graphiste aux arts appliqués puisqu’elle est diplômée en design graphique.
Directrice artistique et réalisatrice, son travail se situe à la frontière de différentes disciplines.

Vous pourrez trouver ses dessins et ses collages sur son site personnel : ameliebonnin.fr

Dessin de Amélie Bonnin

Collage de Amélie Bonnin série "Sous les pavés la rage"
On remarquera au travers de ces deux images de natures différentes qu’Amélie Bonnin mêle l'œil de la documentariste à celui de la graphiste : son dessin est un portrait qui s'inscrit dans un instant "de la vraie vie", et on peut penser que son collage convoque deux époques pour illustrer une même colère.

De même, l'œil de la graphiste infuse Partir un jour, ainsi ponctué, avec bonheur, de plans où formes et couleurs se complètent pour créer du sens .
Une composition d’images qui créent du sens. Photo de tournage.
Femme d’images donc, Amélie Bonnin commence sa carrière de cinéaste par le documentaire.
La Mélodie du boucher (Arte 2013) sera son premier film. Elle le présente ainsi sur son site : Dans la famille, les hommes sont bouchers de père en fils depuis 150 ans. Christian, mon oncle, est le dernier à prendre la relève. A l'heure de la retraite et de la tentative de vendre ce commerce d'héritage, des questions se posent.
En regardant La mélodie du boucher, on saisit que, comme Julien dans Partir un jour , Amélie Bonnin a quitté plus jeune sa ville natale, Châteauroux, pour Paris. Elle y revient, alors qu’elle attend elle-même un enfant, pour filmer son oncle, comme à la recherche d’une partie d’elle-même.

En 2018, elle réalise La bande des Français (France 3 2018 / co-réalisé avec Aurélie Charon).
Ce film raconte l’histoire d’Amir, Martin, Heddy et Sophia. Ils ont moins de 30 ans. Ils viennent de Marseille, Verton, Paris ou de Gaza. À rebours de la génération « résignée » dans laquelle on tente de les enfermer, ils se retrouvent au centre de la France pour parler du cœur du problème : a-t-on besoin de se ressembler pour partager un pays ?

Du réel à la comédie romantique

Amélie Bonnin aime filmer le réel, mais elle aime également l’ancrer dans un récit. Et elle a envie de tourner sa première fiction. Mais elle ne s’est jamais pliée à cet exercice si particulier qu’est l’écriture d’une fiction. Elle s’inscrit donc aux Ateliers scénario de la FEMIS, une formation destinée aux adultes de plus de 27 ans.

Le film est co-écrit avec son complice Dimitri Lucas.

Chez Topshot, une jeune boîte de production, on connaît et on apprécie son travail. Topshot produira le film.

Le projet peut naître.

Le film commence par le désir de travailler une forme : faire un film naturaliste, mais avec des chansons (un “film chanté” comme aime à le définir Amélie Bonnin).

Amélie Bonnin souhaite rester fidèle à des principes de mise en scène réalistes dans un film fantaisiste. Ainsi les éclairages et les décors sont naturels au possible, de même que les situations vécues : l’attente d’un bus, des courses dans un supermarché…

Pour renforcer cette approche du réel, Amélie Bonnin a choisi avec son chef opérateur, David Cailley, un format proche de la carte postale. Ce format comprend une dimension nostalgique renforcée par un grain ajouté à l’image numérique et rappelant le Super 8mm.

Il faut choisir désormais les comédiens qui incarnent Julien et Caroline.

Juliette Armanet est une artiste à succès de la chanson. Mais le rôle est écrit pour une caissière de supermarché, pas pour une chanteuse. Amélie Bonnin et Juliette Armanet vont travailler à ce que la jeune artiste se détache du chant pour être entièrement au service du personnage de Caroline et de sa véracité.

Bastien Bouillon est plus connu du public des salles obscures mais il n’est en revanche pas chanteur. Pour Amélie Bonnin, le fait que le comédien ne chante pas "à la perfection" sert le rôle de Julien.

De son côté, Bastien Bouillon sût saisir les intentions de la cinéaste, qui n’avait jamais dirigé de comédiens, et faire de judicieuses propositions.

De manière surprenante, les faiblesses présumées du duo feront sa force : quand Juliette Armanet devait penser à jouer plus qu’à chanter, Bastien Bouillon pouvait s’appuyer sur elle pour le chant.

La complémentarité des personnages a donc été servie par celle des comédiens pour une belle alchimie.


Une comédie musicale ?

Amélie Bonnin se sert de son œil de documentariste pour inscrire la fantaisie dans le réel. C’est la mélancolie qui pointe à l’arrêt de bus sur le titre, pourtant léger des 2Be3 par exemple, où chaque personnage qui chante le titre générique semble pouvoir avoir son histoire, sa raison de partir un jour.
Une certaine mélancolie

On comprend tout de suite que la réalisatrice va privilégier la réinterprétation de ces chansons “populaires”, sans imiter l’original, mais bien au contraire pour revendiquer quelque chose de l’intime de chacun des personnages. C’est bien l’émotion de la scène qui prime sur la chanson.

Une réinterprétation des chansons, pour révéler l’intime.

On pense aux cinémas de Resnais et de Demy. De Resnais, on retiendra le goût pour la réutilisation de chansons populaires (la bande annonce que vous pouvez visonner ci-dessous est à notre sens un bijoux), de Demy, le souci d’aborder des réalités sociales et politiques avec des partis pris irréalistes.
Ainsi, Les parapluies de Cherbourg est ainsi un des premiers et rares films français à évoquer la guerre d'Algérie.
Comme ses aînés, et n’oubliant pas son œil de graphiste (celui-là), Amélie Bonnin sait habiller et éclairer ses décors pour illustrer l’état d’esprit de Julien et Caroline. Ainsi faut-il voir les lumières, les couleurs vives : le vert vif des arbustes en plastiques, le vert des néons reflétés sur le bleu de l’eau de la piscine. Comme s'il fallait un moment oublier que Caroline attend un enfant, que lui aussi… que chacun a fait sa vie… et qu’ils savent tous les deux qu’il est trop tard. La nostalgie et la mélancolie ne sont pas loin.
Les lumières et les couleurs de la piscine
Cette idée des couleurs qui refléterait l’humeur des personnages peut faire écho à l’exact inverse utilisations qu'en fait Tati dans Playtime : les couleurs verdâtres et maladives des néons du Drugstore contaminant l’humeur des personnages blafarde des personnages.
Les couleurs verdâtres et maladives des néons

On remarquera que le film n’utilise pas d’autres musiques que celles des chansons. Celles-ci arrivent quand les personnages ne trouvent pas le moyen d’exprimer leurs sentiments. La musique est alors un véritable grand vecteur d’émotion, permettant de traduire une multitude de sentiments à la fois. Les paroles arrivent donc naturellement dans la bouche de Julien et dans celle de Caroline.

Les chansons ne sont pas neutres : elles appartiennent à la mémoire collective et aux souvenirs d’une époque (ici le tube Bye Bye de Ménélik). Elles créent donc un imaginaire commun entre les personnages et les spectateurs.

Dans la mise en scène, qui avait jusque-là tendance à isoler les personnages dans des cadres tournés à l’épaule et plutôt serrés, les plans se font de plus en plus larges pour accompagner la formation de ce couple dans une piscine avec des arbres en plastique et un toboggan en forme de crocodile.
Des plans larges pour accueillir la formation du couple

Amélie Bonnin a choisi de tourner les scènes chantées en plan séquence. La cinéaste du réel voulait filmer “la réalité du plateau” (cf entretien CST) sans craindre la petite imperfection, car celle- ci permet de lier un univers à la fois fantaisiste et réaliste, de "garder le film dans la vie".

De la comédie romantique à la question sociale ?

Une chambre devenue trop petite

La scène où Julien se retrouve dans sa chambre est révélatrice d’une autre question qui habite Julien : "l’on peut grandir (école, collège…) dans un environnement mélangé puis on devient adulte et on n’est plus qu’avec des gens qui nous ressemblent et quand on revient ensuite avec les gens avec qui on a grandi" (même cette famille avec qui on ne vit plus au quotidien) (cf entretien Amélie Bonnin Format Court)

Amélie Bonnin avoue avoir fait l’expérience intime de ces personnes issues d’un milieu modeste, qui sont amenées à le quitter pour des raisons souvent professionnelles et pour qui s’ouvrent de nouveaux cercles et de nouvelles réalités sociales. "On sent que même contre notre volonté un écart s’est construit avec les gens, comme si il fallait à chaque retour réajuster les choses"

Julien qui, partit un jour ailleurs, ne peut réintégrer une chambre devenue trop petite pour lui. La caméra semble elle aussi chercher une place dans ce lieu exigu. Julien se retrouve donc recroquevillé, dans un coin, comme il l’avait été dans la camionnette ou la cuisine, prisonnier du cadre, à l’image de cette vie provinciale à laquelle il semblait destiné.