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FAIS-LE TOI-MÊME

Paatrice est l'un des membres actifs du collectif normand HSH, fondé sur les préceptes du mouvement DIY. L'acronyme de « Do It Yourself » englobe des courants hétéroclites qui prônent notamment le partage de connaissances, l'auto-édition, le développement de logiciels libres, l'autogestion de lieux communautaires, le refus de l'économie de marché et un sens évident de la subversion.

L'essor de ce mouvement, est intimement lié à la démocratisation des outils numériques de fabrication, d'échange et de diffusion, qui ont lentement mais sûrement donné aux productions amateurs un niveau qualitatif quasi-professionnel. Cependant, l'étiquette dévalorisante collée aux œuvres présentant les caractéristiques du bricolage, les cantonnent encore trop souvent à la marge des champs culturels balisés. S'y expriment pourtant une créativité stupéfiante et vouée à un bel avenir, dans la mesure où celle-ci applique naturellement les principes du recyclage, de la sobriété bienveillante, de la collaboration non-compétitive. Registre emblématique de ce domaine d'expression, le street art* , fait désormais partie intégrante de nos paysages, urbains et ruraux, publics et médiatiques. Initialement rebelle, éphémère, non-monnayable, le street art s'institutionnalise, se pérennise.
Le « faire soi-même » est au cœur de la création animée * depuis toujours. Émile Cohl, Norman McLaren, Robert Breer auraient pu aisément s'en prévaloir tant leur production individuelle constitua une succession de trouvailles astucieuses pour s'affranchir des technologies de pointes de leurs époques respectives profondément marquées par l'industrialisation galopante. Que dire de Sébastien Laudenbach, parvenu à réaliser presque seul et dans des conditions qui frôlent le bricolage l'un des longs métrages les plus réussis de la dernière décennie !

La tendance majoritaire de cette « création ciné-graphique » semble aujourd'hui refermer un cycle créatif plus que centenaire en intégrant les inventions qui ont préfiguré celle du cinéma. À la faveur d'une réhabilitation significative de modes d'expression plus humains, car de technologie rudimentaire, quantité de jeux d'optique et de dispositifs de spectacles forains retrouvent actuellement le devant de la scène. Les « lanternes magiques » du 17ème siècle européens deviennent vidéoprojections sauvages sur des immeubles brésiliens (a) . Les folioscopes (flip books) du 19ème siècle s'actualisent en « livres flippés » (b) ou stimulent la pratique des dessins animés « sur le pouce » (c) Les disques stroboscopiques de la même ère pré-cinématographique se recyclent en « phonotrope » dans les festivals (d). Les dessins animés peints sur feuilles de celluloïd transparent de l'âge d'or des cartoons hollywoodiens « désaugmentent », la réalité la plus banale (e). Les murs et les trottoirs de nos villes se parent de la trace fugitive des repentirs* d'animations calcaires (f) ou de fresques monumentales en mouvement (g) , pour sublimer le réel ou, plus simplement, pour faire le buzz sur l'Internet depuis la stratosphère (h).

Combinant allègrement la désinvolture graphiques à une réjouissante réinterprétation de la réalité la plus terre-à-terre, celle de la rue cabossée en l'occurrence, les péripéties improvisées de Ouature nous invitent à renouer avec une liberté de création. Pour un peu, le film de Paatrice nous renverrait même à une période légèrement antérieure à l'invention du cinéma où sévissaient en France les « Arts incohérents ». En 1883, l'un de leurs commentateurs zélés, le critique d'art Félix Fénéon, en décrivaient la philosophie - DIY avant l'heure - dans ces termes : « Tout ce que les calembours les plus audacieux et les méthodes d’exécution les plus imprévues peuvent faire enfanter d’œuvres follement hybrides au dessin [...] à la sculpture ahurie [et à la photographie, ajouterait-on aujourd'hui]... »

Émile Cohl adhéra en son temps au mouvement des Incohérents et en prolongea l'absurde gaîté dans ses premiers films. Ouature contribue incontestablement à raviver le flambeau de cet héritage fantaisiste et ouvert sur tous les publics. Et tout incohérent que soit son récit, le film nous assène finalement un message des plus pragmatiques :

« Faites vous-mêmes de l'animation, c'est un jeu d'enfant ! »

NB : les lettres soulignées entre parenthèses et en rose donnent accès à des boites de dialogues. Celles-ci vous dirigent vers des vidéos ou des sites web cités en référence.