Au cinéphile averti, un coup d’œil suffit pour reconnaître le style de Tim Burton ; car l’univers du cinéaste américain est si singulier qu’il est immédiatement identifiable. Et en la matière, Edward aux mains d’argent (Edward Scissorhands) est un concentré de traits burtoniens.
Indéniablement, Burton est un créateur fidèle. Fidèle à ses collaborateurs, d’une part : acteurs et actrices (Johnny Depp, Helena Bonham Carter…), compositeur (Danny Elfman), costumière (Colleen Atwood)… Les équipes qui l’entourent sont remarquablement constantes, et contribuent sans aucun doute à l’homogénéité de son œuvre. Fidèle à lui-même, d’autre part. Son imaginaire est né dans l’esprit d’un enfant un peu différent : son enfance, il ne cesse d’y retourner, de l’explorer à nouveau. Une enfance qu’il n’a, peut-être, jamais complètement quittée.
Burbank ou le décor d’une enfance
Tim Burton naît à Burbank, Californie, en 1958. Limitrophe de Los Angeles, et tout proche du fameux quartier d’Hollywood, Burbank accueille à la fois les studios de production de Disney ou de la Warner Bros, et les quartiers pavillonnaires typiques des suburbs. C’est là précisément que grandit Burton, dans une famille sans lien avec le cinéma, si ce n’est sa proximité géographique avec l’industrie du film.
Aux portes des studios s’étend donc la ville, typiquement représentative de la banlieue américaine : une zone résidentielle gigantesque, flanquée d’un centre commercial à sa mesure, pour accueillir les classes moyennes et supérieures de la société. La famille américaine-type s’y épanouit dans le confort moderne et la sécurité. Tim Burton, lui, racontera l’ennui profond vécu dans son enfance, au sein d’une ville trop bien ordonnée. Il la mettra en images aussi. La petite Suburbia où débarque Edward est un souvenir déformant de cette réalité vécue…
On notera que ce décor familier aux Américains est largement représenté dans le cinéma outre-Atlantique. Les références ne manquent pas pour illustrer cet univers. Suburbia n’est pas sans rappeler la petite ville qui abrite l’aventure d’E.T. l’extra-terrestre de Spielberg,
ou bien celle qui est le théâtre de la vie fictive du héros dans The Truman Show.
Influences & premières expériences
C’est donc dans ce décor peu fantaisiste que grandit le jeune Burton, enfant solitaire et introverti. Au soleil permanent de la Californie, il préfère l’obscurité des salles de cinéma. Il y découvre, fasciné, les films de série B produits par la Hammer (Frankenstein, Dracula…), et ceux de Roger Corman avec en vedette Vincent Price (Le Corbeau, La Chute de la maison Usher…).
Films fantastiques et d’horreur font forte impression sur Burton, qui découvre par la même occasion les récits classiques, contes et romans, dont ils sont les adaptations — ces représentations filmiques ne cesseront jamais de nourrir son œuvre.
Le jeune garçon se met bientôt à imaginer ses propres histoires qu’il raconte à ses petits voisins, pas toujours rassurés. Il tourne avec les moyens du bord des films courts, qu’il rend à ses professeurs en guise de devoir. Et surtout, il dessine. Son univers émerge déjà par ses dessins : des personnages monstrueux mais attachants, un humour noir mais poétique. Enfant, il participe à des concours de dessins organisés par la ville de Burbank, qu’il remporte.
Ces prédispositions seront déterminantes. Jeune adulte, il intègre le California Institute of Arts pour y étudier le dessin. Son film de fin d’études, Stalk of the Celery Monster (1979)
entièrement animé au crayon — il n’en subsiste que des fragments — attire l’attention des studios Disney, qui lui proposent un poste. Il y travaillera en tant que dessinateur et animateur, notamment sur Rox et Rouky (1979).
De ses premières expériences chez Disney, Tim Burton tirera vite les conclusions qui s’imposent : cet univers, où le merveilleux et l’enfance sont enrobés d’une gentillesse et d’une morale insipides, n’est pas le sien. Il en fera une contre-proposition mordante et réjouissante. En parallèle de son travail aux studios, il parvient à écrire et réaliser le court métrage d’animation Vincent (1982).
Truffé de références et de citations aux films d’horreur de son enfance, Vincent raconte l’histoire d’un garçon qui rêve d’être Vincent Price… Le film, narré en voix-off par Vincent Price lui-même — on retrouvera l’idole de Burton dans le rôle du savant, père d’Edward —, développe les thèmes visuels et l’humour macabre chers à Burton…
C’est donc un tempérament d’iconoclaste qui émerge de ces premières années dans le monde du cinéma ; un goût pour les sujets hors-normes, les anti-héros, les enfants différents… Ce tempérament, Burton parvient à l’imposer grâce à ses premiers succès commerciaux, Beetlejuice (1988) et Batman (1989). Dans une séquence devenue culte, il y met d’ailleurs en scène un Joker barbouillant de peinture les œuvres de maître dans un musée… geste iconoclaste, au sens propre.
Cette reconnaissance, à laquelle il ne s’attendait pas, ouvre la voie à un projet plus singulier encore : Edward aux mains d’argent.