Un exemple concret : Disparition
Cette série, divisée en cinq épisodes, peut permettre d’illustrer (ou de mettre en pratique) les caractéristiques d’une série fantastique.
La diégèse (espace-temps dans lequel se déroule l’histoire) est fondée sur le réel dans lequel surgit un événement inattendu.
Dès le prologue du premier épisode, on assiste à la disparition des adultes.
Celle-ci est mise en scène en hors-champ, et c’est bien celui-ci qui conditionnera le surnaturel tout au long de la série.
Dans "Disparition", c’est le son qui indique que quelque chose grippe la machine du quotidien.
Une crise de la subjectivité touche le spectateur comme les personnages. Celle-ci est très courte, car l’évidence du surnaturel y est très forte.
La série s’inscrit ainsi très vite dans un ensemble de récits itératifs (c’est-à-dire des modèles sur lesquels elle va s’appuyer) que seront les œuvres dans lesquels des enfants se retrouvent livrés à eux-mêmes (Sa Majesté des mouches) ou celles où une partie de la population disparaît (pour parfois réapparaître) sans raison (The Leftovers, The 100, etc.).
Ce dernier type de séries fonde sa narration sur un mystère, une énigme qui tient lieu de promesse de dénouement pour le spectateur qui s’attend à ce que, épisode après épisode, tout finisse par trouver une explication.
Les premières minutes du premier épisode se doivent ainsi de préparer un effet de surprise qui va, par la suite, conditionner l’effet de curiosité.
Plusieurs questions apparaissent, induites par les cartons.
Mais d’autres sont encore possibles, plus philosophiques, voire narratives :
Où sont passés les adultes ?
Quand devient-on un « vieillissant » ?
Est-ce une révélation, un choix, y a-t-il un acte qui conditionne l’apparition du tatouage ?
Que signifie-t-il ?
Tous ces possibles narratifs vont pousser le spectateur à vouloir en découvrir davantage. (
Voir l'utilisation récurrente du travelling arrière dans Game of Thrones)
Il ne faut pas attendre bien longtemps avant de comprendre le lien entre le tatouage et les dessins, ce qui permet d’alimenter l’effet de suspense induit par le montage alterné entre le personnage au tatouage dessinant, et la jeune fille qui le recherche : on sait qu’il va disparaître.
Le plan final de ce premier épisode participe alors du paroxysme fantastique. Le traveling arrière sur le tableau aux dessins vient conforter plusieurs idées : tout d’abord que déjà beaucoup ont disparu, que c’est un phénomène en expansion constante et que, de fait, toute la population, faute de pouvoir se reproduire, finira par disparaître ; ensuite qu’il existe forcément un lien entre le fait de se dessiner, se représenter soi-même et disparaître. Toutes ces questions conditionnent les fonctions thymiques du spectateur et l’appellent à poursuivre la série.
Le deuxième épisode débute avec un effet de curiosité induit d’emblée avec ce personnage courant en se retournant régulièrement, comme pourchassé.
Dans le ciel, le satellite en flammes est un rappel de l’accident d’autoroute vu dans le pilote, symbole de la disparition soudaine des adultes et donc de ceux qui organisent la vie. Un lien est créé entre les deux épisodes via le générique et ses effets de brume et de disparition dans le brouillard, mais aussi par le symbole du tatouage qui recouvre les visages des parents sur les photos.
En outre, la musique, le jeu sur les gros plans sonores et la quasi absence de dialogues instaurent une atmosphère propice au surgissement du fantastique.
Le personnage est présenté comme une sorte de "hacker" qui va entrer en contact avec une société secrète.
L’épisode a ici recours à l’utilisation d’acousmêtres : ces personnages ne sont pas identifiables. Ils n’ont pas de visages et leur voix qui est modifiée. En cela ils acquièrent une sorte de pouvoir quasi infini (et donc par extension surnaturel), ils sont omniscients et omnipotents.
À ce stade, le spectateur comprend que la série prend le partie de développer des arcs narratifs distincts mais tous reliés par l’univers diégétique.
Ainsi le troisième épisode débute par des plans vides de personnages pour planter le décor de la ville abandonnée par les adultes, et par l’introduction de personnages encore inconnus. Le sigle apparaît à nouveau.
Quelques réponses sont apportées lorsqu’un groupe de jeunes en enlèvent un autre afin d’étudier “sa disparition”. La présence du tatouage sur la main est donc bien le signe d’une prochaine disparition. Finalement, alors que le spectateur peut s’attendre à assister à la disparition d’un vieillissant, celle-ci se fait hors-champ puisqu’ellipsée.
En réalité, tout semble concorder vers l’idée qu’une force surnaturelle empêche quiconque cherche à percer les mystères des disparitions : la caméra de surveillance tombe en panne de batterie, et la jeune fille censée garder le prisonnier s’endort sans s’en rendre compte.
Au lieu d’apporter des réponses, l’épisode renforce encore plus le mystère en lui injectant une nouvelle dose de surnaturel.
Pour finir, l’épisode se clôt sur un traveling arrière laissant seul le groupe qui ne se rend pas compte que l’une des leurs va bientôt disparaître à son tour, le tatouage mystérieux commençant à apparaître sur sa main.
L’épisode suivant voit l’apparition d’une nouvelle faction qui chercher à éliminer les « infectés » avant qu’ils ne disparaissent. La construction de l’épisode fonctionne sur
une mise en intrigue avec un climax sous forme de cloche.
Au premier effet de surprise (le marqué se coupe la main pour éviter de disparaître, ce qui apparaît comme une solution à certaines des questions posées par la série), va succéder un deuxième retournement de situation : on ne peut échapper à la marque car celle-ci, dans le final, apparaît sur l’autre main du garçon.
Ainsi, c’est l’inéluctabilité qui est mise en scène, la notion de destin tragique qui frappera sans détour chacun des personnages à tour de rôle.
Enfin, à nouveau, dans l’épisode 5, le season finale, nous suivons un dernier groupe de "marqués". L’épisode débute en nous montrant l’un d’eux, choisir de se suicider par noyade.
Ainsi, c’est l’inéluctabilité qui est mise en scène, la notion de destin tragique qui frappera sans détour chacun des personnages à tour de rôle.
Enfin, à nouveau, dans l’épisode 5, le season finale, nous suivons un dernier groupe de "marqués". L’épisode débute en nous montrant l’un d’eux, choisir de se suicider par noyade.
Pour le cliffhanger final, fondé sur un effet de surprise, ce personnage réapparaît à l’extrême fin de l’épisode.
Revenu d’entre les morts, celui-ci n’est plus marqué, comme le dévoile le gros plan sur ses mains. Les membres du groupe, leur leader y compris, s’agenouillent devant lui, le hissant au rang de Messie.
Le passage de la vie à trépas semble ainsi l’avoir doublement libéré. Il renaît une seconde fois, à la manière d’un baptême, et débarrassé de ses péchés.
Une issue favorable aux disparitions semble donc possible.
La saison se termine ainsi en ayant distillé des éléments partant dans différentes directions et laissant le spectateur dans l’attente incertaine d’une nouvelle saison dans laquelle les pistes envisagées pourront être approfondies, confirmées, infirmées ou closes.
Cette série à énigmes, sous la forme d’un puzzle géant, semble devoir poursuivre sa narration en dévoilant comment chacun des groupes se retrouvera imbriqué dans un arc narratif global jusqu’à, possiblement, ce qu’ils finissent par se rejoindre.
C’est bien ainsi, en ayant recours aux différentes caractéristiques qui composent la série fantastique contemporaine, que Disparition s’inscrit dans une longue tradition de récits par tranches et tente d’en donner une nouvelle itération, qui comme ses consœurs, participe peu à peu à (re)définir les contours toujours plus poreux d’un genre en constante évolution.
Et c’est peut-être dans le mode de production de cette série, écrite et réalisée par différents ateliers, de manière complètement autonome, qu’il faudra chercher sa singularité, et ce qui en fera une œuvre fantastique à part.