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L’APPORT DE RÉFÉRENCES

Les modes de représentation varient grandement en fonction des films et des genres auxquels ils sont censés appartenir : le western, la comédie musicale ou le film fantastique utilisent chacun des codes immédiatement repérables...

Ces modes de représentation dépendent notamment du contexte historique et cinématographique dans lequel ils ont été produits (si on compare un western des années 50 à un western des années 70, la représentation des indiens ne sera évidemment pas la même ).
Évoquer le contexte du film c’est aussi parler de la société ou de l’époque où il a été réalisé : parler de l’identité sexuelle en France à notre époque (Tomboy École et Collège au Cinéma), ce n’est pas la même chose que dans les années 50 aux États-Unis où sévit le code Hayes (Certains l’aiment chaud Lycéens et Apprentis au Cinéma).
Parler de la condition de la femme en Turquie (Mustang Lycéens et Apprentis au Cinéma) ne comporte pas les mêmes enjeux qu’en occident, même si les thèmes sont les mêmes (le film peut être vu en miroir de Virgin Suicide de Sophia Coppola).

Mais on oublie souvent que les modes de représentation dépendent aussi de la sensibilité et de la culture du public auquel le film est destiné.
Prenons l’exemple d’un film du patrimoine comme 12 Hommes en colères (Sidney Lumet - Collège au Cinéma) qui date de 1968.
Il s’agit d’un film américain en noir et blanc, ce qui le fera systématiquement qualifier par les élèves de “vieux film”.

Il pourra être intéressant de préciser alors que l’on savait très bien faire des films en couleur à la fin des années soixante. Par exemple, Les aventures de Robin des bois avec Errol Flynn (Michael Curtiz Ecole et Cinéma) date de 1938.

Peut-être est ce alors la question du coût qui amena la production à choisir le noir et blanc ? Bien sûr, produire un film en couleurs était très cher : le Technicolor reste longtemps hors de prix, notamment pour les productions non hollywoodiennes… Mais la question du coût n’est pas non plus la raison du choix de Sidney Lumet.
Cela peut paraître curieux aujourd’hui mais la couleur n’était tout simplement pas une technique qui attirait spécialement le public : les gens ne lui accordaient pas un statut équivalent au noir et blanc.

Cela s’explique finalement assez facilement. Le noir et blanc représentait tout simplement la norme à laquelle le spectateur était habitué.

Les gens associaient le noir et blanc au réalisme, à une certaine idée de l’objectivité, alors que la couleur était associée à l’irréalisme et au merveilleux. La couleur est ainsi rarement utilisée pour des drames contemporains et les films « sérieux » s’inscrivant dans la réalité (drames, policiers, Chroniques sociales…) étaient tous réalisés en noir et blanc par convention.

Il est donc difficile d’aborder un film sans évoquer ses conditions de production. Il peut alors être parfois nécessaire de remettre en cause les normes actuelles, considérées comme évidentes, pour mieux comprendre la manière dont les normes de l’époque de la production ont pu influencer les choix de réalisations.
Prenons un autre exemple significatif : le système des studios aux USA, qui sont spécialisés dans des genres spécifiques (la MGM dans les comédies musicales par exemple) et qui confient des projets à des réalisateurs sous contrat.
Dans ce système, il est parfois difficile de distinguer la part prise par les producteurs dans la conception du film : Le magicien d’Oz (École au Cinéma) connut 5 réalisateurs différents (dont Vidor, Cukor, Fleming…), tous remerciés en cours de tournage, et l’affiche du film le présente comme "un film de la MGM".
On pourra enfin prendre garde à certains jugements trop hâtifs. Par exemple, l’adaptation d’une œuvre littéraire au cinéma ne peut être comparée à l’original. Un livre et un film sont deux objets différents . Il ne s’agit pas d’illustrer un livre, les tentatives en ce sens n’ont que peu d’intérêt.
Adapter, c’est porter un regard particulier, mettre en avant un élément particulier de l'œuvre originale. Fantastic Mr Fox (Collège au Cinéma) est l’adaptation d’un roman de Roald Dahl mais Wes Anderson fait un film très particulier en le rapprochant de ses thématiques habituelles (la famille…).

Plus probant encore: il est presque impossible de retrouver trace de l'esprit de Stephen King dans le Shining de Kubrick (Lycéens et Apprentis au cinéma).

Tout cela peut sembler relever de l’évidence mais il faut tenter de remettre en perspective avec les élèves ce rapport au présent. Ce qui peut alors sembler anodin ou convenu peut alors se révéler audacieux (Le fameux train qui entre dans le tunnel à la fin de La Mort aux troussesl (Lycéens et Apprentis au cinéma) qui reste la métaphore sexuelle la plus connue du cinéma).

L’auteur
La politique des Auteurs
La "politique des auteurs" en France est l’héritage d’une prise position de jeunes critiques (Godard, Truffaut, Rivette...) des Cahiers du Cinéma à la fin des années 1950.

Admiratifs des exemples de Ford ou de Hitchcock, qui étaient capables de résister aux pressions des studios pour construire une œuvre cohérente, personnelle et déclinée de films en films, ils remettent en cause le rapport entre production et réalisateurs au profit de ces derniers.
Nos jeunes critiques luttent donc contre le paysage cinématographique de leur temps. Pour cela, ils fustigent le cinéma de "qualité française" où on tourne des films en studio, commandés par des maisons de production, avec des sujets convenus, écrits par des équipes de scénaristes. Le réalisateur est alors "l’employé" de ces productions et est un technicien comme les autres.
Les Cahiers du Cinéma développent l’idée d’un cinéma d’auteur : un “artiste” qui écrirait lui-même ses scenarii, choisirait ses équipes, ses comédiens, les thèmes et le ton de ses films en totale indépendance.

En ce sens, l’auteur n’illustre pas simplement une histoire mais donne un point de vue subjectif sur le monde. Il fait une proposition, par forcément consensuelle, et laisse une part d’interprétation importante, elle aussi par définition subjective, aux spectateurs.
"La place de l’auteur auprès des publics jeunes"
A quelques exceptions près, par ailleurs révélatrices de l’importance de l’artiste dans la culture populaire (un collégien pourra identifier de lui-même "un film de Tim Burton" par exemple), la plupart des jeunes voient des films sans se soucier du nom de l’auteur.

Ils parlent instinctivement des acteurs, des personnages. On entend d’ailleurs souvent "un film de Leonardo DiCaprio" plutôt qu'un "film avec Leonardo DiCaprio", ou encore "un film d’Harry Potter".

Ils pourront facilement parler de certaines séquences marquantes du film, plus difficilement des émotions ressenties, mais il est plus rare qu’ils discutent instinctivement de l’auteur et de sa mise en scène.

Dans la discussion "l’auteur" est souvent remplacé par "le film". Sauf peut-être si les élèves pensent que le film est raté : "l’auteur" devient "Ils" ou, au mieux, "celui qui a fait le film".

Il faut donc rappeler que tous les éléments filmiques, s’ils sont travaillés en équipe (producteur, scénaristes, chef opérateur, comédiens, monteurs…), relèvent finalement de la responsabilité du cinéaste et peuvent donc être interprétés en fonction d’une intention supposée de celui-ci.

Parfois, le message est ambivalent, pose des questions auxquelles le film n’apporte pas de réponse, la fin reste "ouverte"... Bien souvent, le jeune spectateur se sent alors frustré et sa première réaction est le rejet car il n’en comprend pas le sens ou du moins ne peut en tirer immédiatement une signification qui lui paraisse satisfaisante.
Prenons l’exemple d’Elephant de Gus Van Sant (Lycéens et Apprentis au Cinéma).
Les choix de mise en scène sont ici facilement remarquables : de longs plans séquences où la caméra suit des personnages de dos. Mais, même s’ils sont identifiables, ils seront difficiles à interpréter par les jeunes spectateurs qui pourront les trouver artificiels et ennuyeux, ne parvenant pas à leur donner du sens en rapport avec les événements représentés.

D’autres seront sensibles à la maîtrise technique du cinéaste ou au contraire, au rythme qu’ils pourront trouver particulièrement lent du film.
On pourra alors discuter avec eux de cette journée que filme Gus Van Sant, une journée banale pour tous.
Se posera alors la question d’un film qui nous plonge dans la banalité de ces vies adolescentes qui vont s'arrêter brutalement, tout en refusant d’émettre un quelconque commentaire moral ou factuel et en laissant à chacun de ses spectateurs une part d’interprétation.
Gus Van Sant gage sur la connaissance que nous avons du fait divers de la tuerie de Colombia et donc sur l’issue de cette journée. Gus van Sant ne donnera aucune explication à ce massacre...

Partant de ce postulat, il serait donc inutile de chercher à trouver un sens univoque à un film comme Elephant. Doit on y voir un regard fataliste sur la société américaine ? sur la nature humaine ? la déshérence de vies adolescentes ? une dénonciation de la libre circulation des armes ? ou même tout cela à la fois… ?

En revoyant les extraits, en nommant les plans et leur rythme, en en connaissant les enjeux, on s’aperçoit qu’il s’agit d’un choix assumé de mise en scène.

Ceux qui n’auront pas apprécié le film ne réviseront peut-être pas leur jugement mais se poser la question du pourquoi de ces choix du réalisateur est toucher le cœur de la réflexion autour de la mise en scène, ce que l’on appelle "l’analyse filmique".
Reprenons l'exemple de Rêves d’or de Diego Quemada-Diez, déjà évoqué.

On comprend très vite que le propos du film dépasse l’histoire des personnages. Diego Quemada-Diez nous évoque par le biais de ces adolescents, qui cherchent à rejoindre les Etats-Unis, le sort de milliers de sud américains.

Le cinéaste choisit une mise en scène qui se veut un enregistrement de la réalité, proche du documentaire. On en comprend vite la raison (au-delà de la question économique de la production) : le film doit avoir valeur de témoignage.

Il faudra bien entendu expliquer aux élèves que cette (re)présentation de la réalité implique sa manipulation et sa transformation : le cinéaste choisit ce qu’il va filmer, comment il va filmer, ce qu’il va montrer, ou pas, et influence ainsi notre regard sur la réalité filmée.
De plus, si le film est construit à partir de témoignages, il s'agit aussi d’une histoire scénarisée.
Le film de Diego Quemada-Diez est réalisé avec peu de moyens et met en scène des gens ordinaires aux destins tragiquement banals.
La “forme” (caméra portée qui donne une impression d’immédiateté) et le “fond” (les dangers du chemin de l'émigration) se font échos et se correspondent.
Le résultat est là : Rêve d’or donne l’impression d'une prise directe sur l’histoire (et l’Histoire) en train de se dérouler sous nos yeux.
On ne peut donc pas analyser un film d’un point de vue formel sans tenir compte des sujets dont il traite.

Parfois, plus que la forme, c’est la pertinence même du récit qui nous est proposé qui pose question : quelle est l’histoire qu’on nous raconte ? quel en est le sens ? quelle en est la logique, voir la cohérence ? Bref quel est l’intérêt du film ?
Prenons le cas du film Alamar de Pedro Gonzalez-Rubio (Collège au Cinéma).
Pour nous montrer la relation d’un père et de son enfant, le cinéaste ne filme que des gestes du quotidien, a priori sans importance : pêche, balade, préparation de repas…
Rien ne semble réellement se passer sous les yeux des spectateurs.
On ne semble pas nous raconter une histoire mais simplement nous montrer une réalité telle qu’elle est, sans la commenter ou la dramatiser.
La démarche de Pedro Gonzalez-Rubio est de "laisser vivre" ses personnages et paraît parfois attendre que quelque chose survienne devant sa caméra plutôt que de le provoquer. A partir d’une mise en situation (marcher le long de la mer), ce qu’il filme est donc en partie dépendant du hasard (un oiseau qui se pose sur le ponton de la maison). Il laisse alors ses acteurs improviser.

Ce refus de scénariser de grandes parties du film (seuls l’arrivée de l’enfant et son départ semblent écrits) met ainsi le spectateur dans une attitude contemplative, sans but attendu.

L’explication de cette démarche cinématographique ne suffira pas à convaincre ceux qui y resteront insensibles et qui n’en retiendront que l’ennui.
Les jeunes pourraient alors exprimer leur incompréhension devant un film "qui ne raconte rien"...
Mais lorsque le film a été proposé dans Collège au Cinéma, il a été plutôt bien accueilli dans les classes. Les élèves, et ce fût une très bonne surprise, semblent avoir perçu que le film allait au-delà de ce qu’il nous montrait.
Quand, à la fin du film, l’enfant quittera son père et repartira pour Rome, ils auront compris que ce n’était pas là la résolution d’une intrigue mais que ce qu’ils avaient vu faisait sens, tout en laissant libre cours à leurs ressentis et à leurs interprétations.
Ce sont là quelques exemples qui nous permettent d’approcher les “intentions de l'auteur”.

Mais des intentions énoncées à l’origine, à sa réalisation, un film peut évoluer. Tout au long du travail de création se met en place une alchimie : l’écriture est mise à l’épreuve du jeu des acteurs, de la mise en scène, du montage…

Cette capacité à relier les intentions (supposées) de l’auteur à un contexte plus large (intentions de mise en scène, références historiques ou culturelles…) varie fortement selon les spectateurs...
L’enseignant, ou l’éducateur, apportera les éléments contextualisant le film permettant ainsi d’éclairer son interprétation.

Ce travail peut impliquer une comparaison entre des films différents d’un même auteur afin de dégager des constantes thématiques et esthétiques (Wes Anderson et le thème de la famille par exemple décliné à travers la Famille Tenenbaum (Lycéens et Apprentis au Cinéma) ou Fantastic Mister Fox et Moonrise Kingdom (Collège au Cinéma). Qu’il s'agisse d’animation ou de “prises de vue réelles”, on remarquera aisément l'utilisation systématique des couleurs ou de la symétrie.