Nous venons de le voir : parler d’un film, c’est nécessairement l’interpréter.
Le sens d’un film est toujours une reconstruction du spectateur. Le champ d'interprétation est donc potentiellement aussi vaste que le nombre de spectateurs.
On interprète le sens supposé du film, "ce que l’auteur à voulu dire", même si le film ne le démontre pas de manière flagrante.
Le sens que le cinéaste a effectivement donné à son film ne peut faire l’objet que d’une reconstruction hypothétique basée sur des indices.
Les films proposés dans les opérations d’éducation aux images font que le débat avec les jeunes se tournent souvent vers le "contenu" des films et de leurs manières de représenter la réalité, plutôt que sur les techniques utilisées.
Un des points communs des films sélectionnés dans les opérations d’éducation à l’image est de nous proposer une représentation souvent problématique, nuancée et même parfois ambivalente de la réalité.Des films qui ne se réduisent pas à un propos, à des idées ou des thèmes explicites pas plus qu’à un discours démonstratif.
Même dans un public relativement homogène (celui des élèves d’une même classe ou des enseignants après une projection), les avis sont généralement contrastés.
L’unanimité est rare, sinon inexistante, et le rapport entre les œuvres et les individus est difficilement prévisible (nous le savons dans les programmation des opérations scolaires où l’on est souvent surpris, positivement ou négativement, des réactions des élèves… ou même des enseignants).
L’ami retrouvé (Jerry Schatzberg, 1989, Collège au Cinéma) avait ainsi donné lieu à de vifs échanges entre enseignants sur la représentation de l’Allemagne 50 ans après la guerre et sur l’interprétation que les élèves pouvaient en faire.
Mais le débat était faussé : il s’agissait pour l’auteur de raconter l’histoire d’une résilience. Le point de vue du film n’était pas celui du réalisateur sur l’Allemagne post-nazie mais celui du personnage.
Un élève pourra effectivement confondre le point de vue supposé de celui-ci avec le point de vue, ou “l’intention”, du cinéaste.
C’est que l’objet filmique est complexe. Non pas dans le sens où les films seraient difficiles à comprendre (bien que certains le soient) mais dans le sens où cet objet est composé de multiples dimensions et qu’il peut donc être considéré sous différents aspects et différents points de vue.
Pierre Bourdieu utilisait la notion d’habitus pour désigner l'intériorisation, nécessairement différente suivant les individus, de par leurs valeurs et expériences vécues au cours de leurs existences.
Ces expériences intériorisent et guident ensuite intuitivement les choix, notamment en matière culturelle.
Les dispositions qui nous amènent à émettre un jugement sont acquises au cours de notre formation personnelle, sociale et culturelle. Elles varient donc d’un individu à l’autre et ne peuvent prétendre à l’universalité. Elles sont, par définition, subjectives.
Ainsi l’on peut être sensible à l’histoire racontée, aux émotions suscitées, aux thèmes évoqués mais également aux personnages, au talent des acteurs, ou encore au travail de mise en scène du cinéaste, travail qui lui-même comporte plusieurs dimensions comme le cadrage, la direction d’acteurs, le montage mais aussi les décors (on revient à Tati), les lumières..